Découvrez les coulisses d’une transformation d’entreprise réussie à travers le partage d’expérience de Luc Speisser.
Comment transformer une entreprise, en l’occurrence une agence de branding et design, d’un bureau local parisien de second plan en l’un des plus performants acteurs au monde dans une catégorie dominée par les anglo-saxons, tout ça en un peu moins de quatre ans ?
Luc Speisser nous offre un reportage en différé sur ce qui s’est passé sur le front, vu des coulisses, en caméra subjective. Un reportage au cœur de l’action, où l’on entendra siffler des balles réelles. Un reportage dont la vocation n’est pas de raconter dans sa chronologie une histoire qui se termine bien, mais d’en extraire les principes fondamentaux de réussite, illustrés par des faits et des cas concrets, directement vécus.
Adopter l’ambition pour stratégie
Lorsque Charlie Wrench, CEO de Landor Global à l’époque, m’annonce qu’il me voit comme le prochain président de Landor Paris, lors d’un dîner, je le remercie. Mais je lui dis aussi que je ne suis pas sûr d’avoir envie de faire ce job, même si cela ne me fait pas spécialement peur.
Un peu comme une plateforme de streaming, il me propose alors l’équivalent d’une offre d’abonnement d’une durée de six mois gratuits et sans engagement.
« Écoute, je comprends très bien que tu hésites, ce que je te propose c’est au moins d’accepter de prendre l’intérim jusqu’à ce qu’on trouve quelqu’un de bien. J’ai déjà briefé un cabinet de chasseurs de têtes. Mais ça va forcément prendre du temps et j’ai besoin que quelqu’un prenne les rênes tout de suite, étant donné la situation critique de l’agence. Et ce quelqu’un ne peut être que toi. Bien entendu, je vais t’augmenter en conséquence immédiatement.
— Ça va prendre combien de temps à ton avis ?
— Six mois maximum pendant lesquels tu assureras l’intérim en tant que patron, tout en continuant à diriger la stratégie. Et dans six mois maximum, soit tu décides de prendre le job, soit on le confie au meilleur candidat externe et tu continues en tant que directeur de la stratégie, avec peut-être un rôle new business en plus, car tu es bon sur ce terrain aussi.
— OK, faisons comme ça.
— Dans cette perspective, j’aimerais que tu rencontres tous les candidats que j’aurai interviewés et présélectionnés. C’est important pour moi que tu sois en phase avec eux, vu le rôle essentiel que tu continueras à jouer dans l’agence, quelle que soit ta décision. Qui sait, peut-être trouvera-t-on très vite. Et qui sait, peut-être qu’au final, ça te plaira et ce sera toi.
— Haha, on verra. »
Les quelques mois qui suivent cette discussion sont très intenses et quelque peu schizophréniques car je dois à la fois diriger l’agence et rencontrer celles et ceux qui pourraient la diriger à l’issue de mon intérim. Les candidats sont intéressants et viennent d’univers plutôt variés : d’agences de design bien évidemment, mais aussi d’agences digitales et de publicité.
Je consacre la majorité du temps de chaque entretien à discuter de leur vision pour Landor Paris, ce qu’ils changeraient et dans quelle direction ils souhaiteraient pousser l’agence. Leurs réponses sont elles aussi très variées : « On devrait recentrer l’agence sur le seul packaging, et étendre son business à tout ce qui gravite autour, notamment la photographie et le tournage de packshots publicitaires ». Autre réponse : « En fait le design, c’est de la communication, donc on devrait s’étendre au-delà du design et faire de la communication. » J’ai aussi entendu : « Le digital c’est l’avenir. On devrait devenir une agence totalement digitale. »
L’exercice est bien entendu très difficile quand on ne connaît pas l’agence et ne peut que rester superficiel. Ce qui me frappe néanmoins dans ces visions est qu’elles ne s’attachent pas à déployer le potentiel de Landor Paris sur son cœur de métier, le design de marque, notamment dans le conseil en amont, mais plutôt à y adjoindre d’autres métiers, le plus souvent situés en aval, qui réduisent le design de marque à sa seule dimension communication. Or, Landor est l’un des inventeurs du design de marque, le vrai. Celui qui place la marque au cœur de l’entreprise et concilie ce qu’elle dit, sa communication, et ce qu’elle fait : ses produits et services, ses lieux, sa culture.
Dès 1941, quand Walter Landor crée Landor à San Francisco, il déploie une vision pionnière de la marque et du rôle que le design peut jouer pour elle, bien au-delà de la seule dimension graphique à laquelle il est trop souvent réduit, en France et dans le monde. J’ai sélectionné deux phrases qui attestent de cet avant-gardisme : « Les produits sont fabriqués à l’usine, les marques se construisent dans l’esprit. » Mais surtout : « Une marque est une promesse, une grande marque est une promesse tenue. »
Cette phrase, déjà très juste il y a quatre-vingts ans, l’est devenue encore plus au fil du temps. Les gens, vous, moi, attendons d’une marque qu’elle ne fasse pas seulement de belles promesses, mais surtout qu’elle les tienne. Ce qui construit aujourd’hui la perception d’une marque n’est plus seulement sa communication, mais bien plus la qualité réelle de ses produits ou services, la pertinence et l’originalité de son expérience, et la façon dont elle se comporte avec ses employés, prestataires et partenaires. Autrement dit, ce qu’elle fait plus que ce qu’elle dit. C’est cette modernité et cet esprit pionnier qui m’avaient attiré au moment de rejoindre Landor et je suis convaincu qu’il faut les revendiquer et les concrétiser avec beaucoup plus de force à Paris, pour affirmer ce qui fait notre singularité dans le monde : cet équilibre rare entre rigueur et créativité, entre consulting pur et transformation concrète.
Au fil des entretiens donc, un sentiment grandit en moi : celui que je sais mieux que tous ces gens, aussi intelligents soient-ils, ce qui est bien pour l’agence, et ce qu’il faut mettre en œuvre pour la faire redécoller et briller. Et c’est exactement ce que je dis à Charlie, trois mois à peine après notre dîner.
« C’est formidable et je suis très heureux que tu aies finalement envie de diriger l’agence », me répond-il avant d’ajouter : « Viens à Londres la semaine prochaine pour me présenter ta stratégie. » Je réponds sans attendre : « Je serai ravi de venir à Londres mais je peux te raconter ma stratégie tout de suite. C’est très simple : ma stratégie, c’est l’ambition.
— Continue.
— Si on regarde les choses en face, je n’ai aucun fait réellement positif sur lequel m’appuyer. Que dire quand l’agence n’a pas atteint ses objectifs ? Quand des bons éléments ont commencé à quitter le navire et d’autres peut-être s’apprêtent à les suivre ? Quand tu n’as rien gagné de grand sur le plan international ou national : ni compétition d’envergure depuis Citroën, ni prix créatif ? Quand ta seule perspective de new biz est un réseau de pharmacies low cost ? Quand le bruit court sur le marché qu’on est mort ? Et quand personne n’a envie de te rejoindre car personne n’a envie de se faire virer pour raisons économiques six mois après son arrivée ? Face à tout ça, il n’y a qu’une seule stratégie à adopter, cent-pour-cent émotionnelle : l’ambition de gagner. Alors voilà, on va adopter un mantra d’excellence stratégique, créative et commerciale, et on va devenir les meilleurs en Europe continentale parce qu’on l’a décidé. Et pour légitimer cette ambition, on va s’appuyer sur une chose, une seule : la force de la marque Landor. Et on va se battre sans relâche jusqu’à ce que le bureau parisien de Landor mérite à nouveau de porter son nom.
— C’est bien et je suis d’accord. Mais viens quand même me raconter ton plan en détail la semaine prochaine, me répond-il. »
Une semaine plus tard, à Londres, la présentation détaillée de mon plan stratégique dure moins de trente secondes. Au moment où je m’apprête à ouvrir mon ordinateur, Charlie me fait un signe de la main, me sourit et me dit : « Je n’ai pas besoin que tu me présentes ton plan, je suis sûr qu’il est très bien. Notre dernière conversation téléphonique a achevé de me convaincre, si tant est que je devais encore l’être, que c’est toi. Toutes mes félicitations, tu es le nouveau président de Landor Paris. Allons déjeuner et célébrer ça. »
Président par intérim - Dans les coulisses d'une transformation d'entreprise réussie
Quand on lui confie provisoirement la présidence de Landor Paris, Luc sent d’un coup l’énorme poids qui vient de lui tomber sur les épaules. Héritant d’une situation très délicate – alors même qu’il n’avait pas spécialement désiré devenir patron d’entreprise – il doit aussitôt définir une nouvelle proposition de valeur et la concrétiser dans un délai très court. Suivront sept années de croissance ininter¬rompue.
Dans son ouvrage Président par intérim, il nous livre un concentré d’expérience, une histoire bien réelle dont il a su tirer des principes fondamentaux de réussite qui seront utiles pour les dirigeants présents ou futurs.