Léa Dorion propose des actions concrètes pour devenir un manager allié du féminisme et transformer l'entreprise
Comment améliorer la situation des femmes au sein de son entreprise ?
Si un manager souhaite vraiment améliorer la situation des femmes au sein de son entreprise, il doit commencer par accepter que l’entreprise est un espace de reproduction de la domination patriarcale, où les actions et discours féministes sont nécessaires si l’on veut transformer cette situation. « Féministe » ne doit plus être considéré comme un gros mot, une insulte visant à décrédibiliser celui (ou celle le plus souvent) qu’elle désigne.
Faire son bilan et se déconstruire
Pour s’engager dans des pratiques de travail luttant activement contre le sexisme il est important de comprendre de quelle manière son comportement peut constituer une partie du problème. Il s’agit donc ici de se remettre en question, de faire le bilan sur ses manières de se comporter, de chercher à analyser en quoi elles peuvent être ou avoir été sexistes, d’une manière ou d’une autre.
Un homme dans une société patriarcale, qui repose sur l’oppression et l’exploitation des femmes, a de fait des privilèges et ce, quelles que soient ses intentions. Je veux dire par là qu’aucun homme ne devrait considérer qu’il n’est pas concerné par la question du sexisme ou qu’il ne fait pas partie du problème. Bien sûr certains hommes cumulent les privilèges (en termes de classe sociale ou de race), mais il faut garder en tête que ce moment de bilan est nécessaire pour tous (y compris pour les femmes blanches, riches ou privilégiées d’une manière ou d’une autre).
Voici quelques exemples possibles pour « faire son bilan » et « se déconstruire ».
Commencez par remettre en question les stéréotypes de genre qui jouent un rôle majeur dans la perception que vous avez du comportement de vos collègues femmes, ou dans la perception de la compétence de votre responsable hiérarchique ou de vos employées.
Une bonne technique est de se poser les questions suivantes : « Aurai-je réagi de la même manière si la personne avait été un homme ? Si la personne en question avait été blanche ou mince ? Est-ce que ma perception de ce comportement est vraiment liée à ce que la personne a fait, ou à mon impression qu’elle outrepasse ce que je considère acceptable de faire pour une femme ? »
Pour éviter de faire des blagues sexistes, posez-vous la question suivante : « Est-ce que la blague que je suis en train de faire porte atteinte à la dignité d’un être humain ou à la dignité d’un groupe ? », ou encore : « Est-ce que mon propos (humoristique) va avoir un impact, comme le fait que des personnes déjà victimes de violences (verbales, psychologiques, physiques) le soient encore plus ? ».
Il suffit de suivre un vieux conseil et de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler : prenez une minute pour faire une vérification intérieure avant d’intervenir pour faire rire la galerie. Au pire, le moment sera passé, votre blague n’était pas sexiste, vous aurez d’autres occasions. L’important étant d’appliquer un strict principe de précaution.
Si vous avez une équipe à manager, et que vous devez faire un retour sur le travail et la performance de ses membres, par exemple par le biais des entretiens annuels d’évaluation, questionnez-vous sur le contenu de ces évaluations selon le genre de la personne. En reprenant les conseils proposés par Aurélia Blanc pour développer des pratiques éducatives féministes, posez-vous ces questions : « Quels sont les compliments que je fais à mes employé·e·s ? Renvoient-ils souvent, voire systématiquement, à des stéréotypes ? N’y a-t-il pas d’autres aspects qui mériteraient aussi d’être valorisés ? ».
Je vous propose par exemple de reprendre les comptes rendus des évaluations que vous avez faites dans le passé, et de décortiquer les qualités et compétences que vous avez attribuées respectivement aux femmes et aux hommes de votre équipe. Reflètent-ils la véritable compétence des individus ou y décelez-vous des stéréotypes de genre ?
En réunion, il peut être utile de réfléchir à votre posture au sein de celle-ci, et vous pouvez vous demander si vous n’avez pas pour habitude de faire du « mansplaining » (quand un homme explique à une femme d’un ton condescendant, sur un sujet qui la concerne elle, qu’elle a tort de penser ce qu’elle pense, de dire ce qu’elle dit). Vous pouvez alors vous poser quelques questions : « Est-ce que je sais combien la femme à qui je parle en sait sur le même sujet ? Est-ce que j’utilise ma prétendue expertise pour prouver quelque chose sur ma virilité ? Quand elle parle, est-ce que j’écoute ce qu’elle est en train de dire ou suis-je simplement en train de répéter ma prochaine réplique ? Est-ce que je parle de ma propre expérience ou bien suis-je en train d’universaliser mes propres sentiments ? Est-ce que je lui explique sa propre expérience ? Est-ce que je sais vraiment de quoi je parle ? ».
Ce genre de questions peut vous aider à faire preuve de réflexivité sur votre propre comportement et, selon les réponses que vous y apportez, elles peuvent vous aider à prendre conscience que peut-être, en certaines occasions, vous faites du mansplaining sans le savoir.
Faire son bilan permet de revenir sur le passé
Mais il s’agit aussi en quelque sorte de « mettre des lunettes féministes » pour voir le monde de manière différente. Se déconstruire implique ainsi de développer un autre regard sur les situations du quotidien. Ce processus de déconstruction implique dès lors de se défaire de ses certitudes sur le monde du travail, de votre foi peut-être ancrée selon laquelle c’est un espace égalitaire et méritocratique où le succès repose sur le travail et les compétences. Ce processus prend du temps : il est difficile de commencer à se voir et à voir son environnement d’une manière différente. Mais cette quête intérieure ne peut être totalement une aventure en terre inconnue, puisque « consciemment ou non, l’homme sait souvent déjà qu’il occupe une position de dominant par rapport aux femmes, mais il refuse généralement d’admettre que cette situation est injuste ». Le travail de déconstruction nécessite de se confronter à cette injustice, mais c’est aussi un parcours riche d’enseignements sur le monde social : vous comprendrez mieux comment il fonctionne et ce qui structure votre vie, votre famille, votre situation de travail, etc. Accéder à tout un champ de la connaissance ne peut être qu’enthousiasmant !
Le monde de l’entreprise et ses pratiques de management jouent un rôle majeur dans la perpétuation de l’oppression et l’exploitation des femmes. Alors, comment agir, réagir, prévenir et gérer des pratiques sexistes ? Comment transformer l’environnement et la culture d’entreprise ?
Loin du féminisme de marché, L’entreprise du 21e siècle sera féministe défriche la critique féministe des entreprises en offrant une vision plus radicale des liens entre management et féminisme, et affirmant qu’il est possible et nécessaire de réinventer des modes d’organisation du travail véritablement féministes.