Pourquoi boit-on du vin ? Le professeur Fabrizio Bucella, sommelier et directeur de l’école d’œnologie Inter Wine & Dine, mène l’enquête.
Dans les usines et les campagnes, le vin était consommé pour son apport calorique. Même les cantines scolaires servaient du vin aux enfants ! Celui-ci ne sera supprimé qu’en 1954 par le président du conseil de l’époque, Pierre-Mendès France. La mesure fut motivée par des impératifs économiques, mais d’une autre filière : il fallait soutenir l’industrie laitière en difficulté. Le vin sera remplacé par du lait sucré.
Après le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, aussi appelé traité de Rome (1957) et l’avènement de la société de consommation, le vin a perdu son statut d’aliment. Il devient uniquement un produit hédonique. Son absorption n’est plus nécessaire afin d’obtenir la ration journalière de calories. L’offre se modifie : diminution de la demande des vins de table et augmentation de celle des vins d’appellation.
Depuis le nouveau siècle, certains vins sont une nouvelle fois en train de changer de statut. Le phénomène est illustré avec l’explosion des prix pour les crus classés de Bordeaux et certains autres vins, grands bourgognes, crus du Rhône et d’Alsace. Ces références ne sont plus abordables, même avec un effort financier. Les étudiants dans les écoles de sommellerie m’en font régulièrement la confidence. Yquem, Margaux ou Cheval Blanc ? Ils en étudient la description dans les livres, car ils n’ont pas l’occasion de les goûter. Si vous demandez à leurs professeurs, la réponse fuse : au siècle dernier, quand c’était à leur tour de réviser pour les examens, ils se rassemblaient à quelques-uns et s’offraient les bouteilles. La génération actuelle déguste les grands crus dans les bouquins, la précédente se les partageait.
N’y a-t il pas là une forme de contradiction ? Le futur sommelier doit parler d’un vin qu’au fond il ne dégustera probablement jamais. La séparation se fait entre les vins qui sont achetés pour être consommés et les quelques autres, dont on parle plus qu’on ne les boit. Ces derniers sont des archétypes, ils deviennent des représentations de leur propre essence. Partis sur des marchés à des milliers de kilomètres de leur lieu de production, ils deviennent même des pièces de collection. Les architectes célèbres qui rénovent les chais, notamment à Bordeaux, accompagnent ce changement de statut du vin.
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Le professeur Fabrizio Bucella, mène l’enquête. Tel un inspecteur minutieux, il est parti à la recherche d’indices sur d’anciens sites archéologiques, dans les paroles des célèbres philosophes et jusque dans les comptes rendus des concours de dégustation de notre époque. Implication, complicité, moralité… à travers l’histoire et la science, il élucide pour nous le mystère des liens profonds entre l’homme et le vin.
Qui est le Pr. Fabrizio Bucella ?
Fabrizio Bucella est physicien, docteur en sciences et professeur de mathématique et physique à l’Université libre de Bruxelles. Sommelier et zythologue, il dirige l’école d’oenologie Inter Wine & Dine. Il enseigne dans les masters 2 du droit de la vigne et du vin de l’Université de Bordeaux et du droit du vin et des spiritueux de l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Sollicité par de nombreux concours internationaux comme juré-expert, il est chroniqueur à la Revue du Vin de France et au Huffington Post. Il a publié l’Antiguide du vin, ce que les autres livres ne vous disent pas (Dunod).