L’arrivée d’un nouveau média dominant a toujours changé les pratiques du pouvoir. Aujourd’hui, avec les médias sociaux, c’est l’entreprise qui voit son pouvoir, son rôle et son influence évoluer.
L’entreprise qui ne faisait qu’un avec l’entrepreneur à son origine, a dû renoncer à son humanité pour gagner en productivité à l’occasion de la révolution industrielle. Grâce à un lent processus qui s’inspire à la fois des modèles religieux et royaux, elle a su reconstruire une personnalité pour incarner à nouveau une confiance et une capacité de séduction sans lesquelles elle aurait eu du mal à fidéliser ses clients.
Devenant une personnalité puissante, visible, à forte notoriété, elle a appris, comme toutes les célébrités, à jouer avec les codes de communication des époques successives. Bien décidée à appréhender ceux (les codes) de notre temps, la voilà qui tente de gagner en proximité, en complicité avec les consommateurs. L’entreprise veut devenir notre amie et est prête à toutes les transformations pour cela.
Quand la posture de trop précipite le changement
Devenir nos amis sur les médias sociaux… Voilà une riche idée ! Car entre amis, on ne parle plus d’argent, on ne négocie pas ses prestations, on se doit fidélité, on s’aime pour la vie, on se raconte ses petits secrets, etc. Bref, de quoi assurer des revenus durables et des informations précieuses aux sociétés qui parviennent à ce statut privilégié.
Oui, mais voilà… Un ami, c’est aussi une personne proche, dont on connaît et dont on aime la personnalité profonde, avec qui on peut discuter, rire, partager, se disputer, etc.
Alors, pour des marques qui ont pris l’habitude de s’exprimer comme une déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de ne parler que d’elles, de leurs valeurs, de leurs actions, et qui ont besoin d’innombrables validations internes pour diffuser une photo ou émettre un message ; copiner avec des clients sur les réseaux, les écouter et les amuser, c’est un changement de culture.
Un changement qui passe par la réouverture d’immenses chantiers :
1. Celui de la personnalité.
À une époque comme la nôtre, la plupart des discussions publiques traitent de sujets moraux. Pour donner corps à sa personnalité, il faut s’y insérer et donc se doter d’un avis sur quelques sujets majeurs. Il faut, par ailleurs, que cet avis soit considéré comme légitime. Car sans avis ni légitimité, on se fait assez vite insulter ou exclure des conversations.
2. Celui de la réactivité.
Il faut bâtir une capacité à dialoguer au rythme imposé par les médias sociaux. Les discussions entre amis y sont bien plus vives que les échanges orchestrés par le département communication d’une entreprise ou son service client. Pour prendre place dans les conversations, il faut être capable de répondre du tac au tac.
Assez facile, sur le papier. Extrêmement compliqué, en réalité…
C’est même de ces volontés simples (avoir une personnalité, un avis et une réactivité dignes de ce nom) que vont naître de profondes vagues de changements.
Laurent Moisson, dans son ouvrage « De Jésus-Christ à Kim Kardashian » met en perspective les bouleversements que vit l’exercice du pouvoir dans le monde d’aujourd’hui.
A la lumière de l’histoire des médias, de leur fonctionnement et de leur rapport aux grands leaders historiques, l’auteur montre comment les médias et leurs contraintes de fonctionnement structurent l’exercice du pouvoir, et comment l’entreprise est en train de devenir le lieu où il s’exerce le plus nettement : sur les consommateurs, sur les collaborateurs, sur les gouvernants.