Entretien avec Jérôme Pellissier, écrivain, docteur et chercheur en psychologie et en écopsychologie, et bien sûr jardinier. Auteur de plusieurs ouvrages dont, dans le domaine du prendre-soin, Ces troubles qui nous troublent (Eres), et co-auteur de Humanitude (Armand Colin).
Il conduit www.jardins-therapeutiques.net, le site de référence francophone sur les jardins thérapeutiques.
Entretien avec Jérôme Pellissier
Pourquoi un livre sur les jardins thérapeutiques ?
Jérôme Pellissier : Parce que ces jardins sont précieux, mais encore méconnus, et qu’il n’existait pas en France d’ouvrage de synthèse offrant aux personnes intéressées (professionnelles ou non) un ensemble de réflexions et de recommandations pratiques sur ces jardins. Alors que les Anglo-saxons disposent d’une dizaine d’ouvrages sur le sujet, permettant d’aider, de guider, d’informer sur le sujet… Il était donc nécessaire de combler cette lacune.
Autre raison, évidemment : parce que le sujet me passionne… et que je le connais bien. Mes recherches et mes activités, comme les jardins thérapeutiques, se situent depuis des années à la croisée de ces deux domaines que l’écopsychologie réunit : celui du prendre-soin des humains et celui du prendre soin de la nature et des jardins.
Les jardins font du bien, mais sont-ils vraiment thérapeutiques ?
J. P. : Je synthétise dans le livre plusieurs dizaines d’études, sérieuses, qui toutes le montrent : les jardins font plus qu’améliorer notre bien-être, notre qualité de vie (déterminants de la santé) ou diminuer notre stress, ils jouent un rôle aussi important que certains traitements médicamenteux dans la durée de rétablissement après des opérations, dans la prévention de maladies physiques et psychiques, dans la diminution de certains types de troubles ou de symptômes. Aux Etats-Unis, les hôpitaux ayant des jardins thérapeutiques ont, à soins équivalents, des durées de séjour plus courtes. Un petit détail, mais révélateur : quand la vue d’une chambre donne sur le jardin, les patients y demandent et consomment moins d’antalgiques ! Quant aux institutions où vivent des personnes ayant des troubles cognitifs (liés à des maladies neurologiques en général), elles observent des taux de « troubles du comportement » qui vont du simple au double selon qu’est utilisé ou non un jardin thérapeutique.
Que faut-il pour qu’un jardin soit thérapeutique ?
J. P. : Il faut déjà qu’il soit conçu par des équipes, même petites mais où des personnes connaissent bien les jardins et connaissent bien le prendre-soin lié aux futurs usagers du jardin. Un jardin pour des enfants ayant des troubles autistiques, par exemple, sera guidé par certains principes, recommandations, etc., qui diffèrent de celles d’un jardin fréquenté par des personnes vivant d’autres situations. Tous ont en commun d’accroître les vertus thérapeutiques des différentes formes de relations avec la nature, mais chacun le fait à sa manière, précise, ajustée à son public.
Il ne suffit donc pas d’avoir du matériel, ou des bacs de culture surélevés, ou des cheminements accessibles et clairs. Il faut aussi que le jardin soit, dès le début, dès la démarche de conception (design) participative, investi et modelé par ses (futurs) usagers.
Vous parlez aussi beaucoup, dans votre livre, de permaculture et d’éco-jardinage. Pourquoi ?
J. P. : Parce qu’un jardin qui suivrait des principes « classiques » de conception et d’entretien (avec notamment beaucoup de nuisances, de pollutions, de produits nocifs) ne pourrait devenir un jardin de prendre-soin. On ne saurait être thérapeutique en altérant la santé des usagers du jardin ! Remarquons que les habitants du jardin, plantes et animaux, profitent donc aussi de ce principe. Et les uns et les autres, humains et autres qu’humains, prennent ainsi soin les uns des autres. Les principes de la permaculture, de l’éco-jardinage, permettent ainsi de relier concrètement et de manière cohérente prendre soin des humains et prendre soin du jardin (et de la nature).
De plus, beaucoup de ces pratiques ne nécessitent pas de travaux de force, de taches fatigantes, et peuvent donc être très souvent réalisées par les usagers eux-mêmes. De tels jardins, sans en avoir l’air, nourrissent ainsi sans arrêt la confiance en soi, l’estime de soi, le sentiment d’utilité, le plaisir à agir, seul et à plusieurs, et à interagir avec son environnement, de ses usagers.
Et en quoi ce prendre-soin au jardin est-il différent de celui qui a lieu à l’intérieur ?
J. P. : En presque tout ! Déjà, il y a les relations avec la nature. La majorité d’entre nous a déjà expérimenté cela : notre esprit, nos émotions, nos pensées, notre corps même, quand ils sont en relation avec la nature, avec des vivants autres qu’humains, éprouvent des sensations qu’ils n’éprouvent pas à l’intérieur d’un bâtiment, même s’il y a quelques plantes vertes et un aquarium !
Ajoutons que les lieux de prendre-soin sont souvent des lieux stressants, des lieux où de multiples contraintes (d’hygiène, d’organisation, de vie collective) pèsent et renforcent parfois le sentiment d’être enfermé, voire d’étouffer. Les jardins nous libèrent et nous ouvrent à d’autres horizons. Plein de libertés dans les jardins, dans les activités qui y sont menées (qui peuvent être très contemplatives ou archi-actives), dans le jardinage lui-même. C’est vraiment un espace où il y en a pour tous les goûts, pour tous les caractères, pour tous les besoins.
Vous décrivez aussi les motivations particulières liées au jardin, y compris dans le domaine du soin.
J. P. : Oui. Si les activités thérapeutiques menées dans et/ou avec le jardin sont aussi efficaces, c’est parce qu’elles profitent des fortes motivations liées à la nature, aux plantes, aux animaux… Deux exemples parmi bien d’autres : de nombreuses personnes n’arrivent pas à être suffisamment motivées pour accomplir les gestes, mouvements, etc., nécessaires à leur rééducation – du moins quand ces gestes et mouvements doivent être accomplis dans une salle de soins, sans aucun autre support que le soin lui-même. Car ces personnes-là les accomplissent facilement, avec plaisir même, quand les soignants les intègrent à une activité extérieure – de jardinage par exemple.
Autre exemple, dans le champ des psychothérapies : de nombreuses personnes ne parviennent pas, quand elles restent dans le face à face, d’un cabinet de psychologue, avec le corps immobile et juste la parole comme support de la relation, à être à l’aise, parler librement, etc. Quand elles sont dehors, en mouvement (simple balade) ou en action (en jardinant), la parole se fait plus facile…
Vous parlez également d’hortithérapie. Qu’est-ce au juste ?
J. P. : Je préfère parler d’hortithérapies au pluriel – pour ne pas risquer de réduire la multiplicité des pratiques.
Il existe en effet des débats autour du vocabulaire – faut-il parler par exemple de thérapie assistée par le jardinage, de thérapie à médiation horticole, d’hortithérapie ? – qui ne doivent pas nous éloigner de l’essentiel : la richesse de toutes les formes de thérapie qui s’appuient sur, accroissent, vivifient les vertus thérapeutiques des relations avec la nature (le jardin, le jardinage, etc.).
Ce n’est ni le jardin tout seul, ni le thérapeute tout seul, ni le patient tout seul, qui soigne… Le soignant va naître dans l’alchimie qui va se créer entre eux. Les meilleurs écothérapeutes sont ceux qui savent repérer quels sont les éléments les plus thérapeutiques qui existent déjà, ou s’apprêtent à exister, dans la relation entre une personne et le jardin(age), et qui vont donc maintenir et accroître leurs potentiels soignants à travers les activités qu’ils vont créer et conduire.