L'hyper-manufacturing est le nouveau système qui émerge. Version augmentée du lean, pourquoi ce système ne se déploie-t-il pas massivement et rapidement dans l’ensemble du secteur industriel ?
Le lean a mis l’emphase sur la réduction de tout ce qui ne contribue pas à la valeur ajoutée pour le client, que l’on appelle des gaspillages. L’hyper pousse cette approche un cran plus loin avec la notion d’usage : le client de la démarche « hyper » n’est plus seulement le client final qui achète le produit, c’est aussi l’opérateur de production qui utilise les process de l’usine, les fournisseurs, et même les citoyens qui sont désormais concernés par les pratiques de l’usine car celle-ci produit des externalités positives ou négatives à l’égard de son écosystème proche (emploi, services indirects, eau, déchets, rejets, impact carbone).
Ainsi l’usine cherche-t-elle à maximiser la création d’usage pour ses « clients », internes et externes, tout en minimisant son empreinte sur le reste du monde. La notion de gaspillage reste donc parfaitement adaptée pour décrire les freins à la création de valeur dans ce nouveau contexte. Mais les 8 gaspillages qui ont été décrits dans toute la littérature sur le lean doivent, eux aussi, être repeints aux couleurs du XXIe siècle.
Nous pouvons distinguer deux catégories : les gaspillages « visibles » (ceux que l’on voit directement sur le terrain) et les gaspillages « virtuels » (ceux dont on perçoit les conséquences).
Les gaspillages visibles
Quatre gaspillages sont assez faciles à détecter quand on parcourt la chaîne de production dans une usine : la sur consommation (de matière, d’énergie, de pièces de rechange…), l’attente (des hommes, des machines, du produit), les tâches répétitives ou pénibles, la bureaucratie (papier, reporting inutilisé).
- La surconsommation se détecte en évaluant l’excès de stock, en observant les déchets ou les emballages, en recherchant les fuites (généralement une surconsommation d’air, d’eau ou d’huile) ou simplement en challengeant la consommation énergétique de chacun des process de l’usine. Dans un monde qui a pris conscience récemment de sa finitude, la surconsommation est devenue un gaspillage éthique avant même d’être économique.
- Attente : le temps d’attente est probablement le gaspillage le plus facile à détecter. Entrez dans n’importe quelle usine, vous verrez des machines immobilisées, des produits qui attendent et parfois des personnes inoccupées. L’attente et les discussions associées peuvent représenter de 5 à 25 % du temps de travail selon les activités industrielles. L’attente est un gaspillage classique qui devient intolérable dans un environnement « hyper » où tout est censé s’accélérer.
- Les tâches répétitives ou pénibles sont un peu plus difficiles à détecter. Le mieux pour cela est de se concentrer sur une seule activité pendant quelques cycles. S’il y a répétition du même geste, la question principale concerne l’opportunité d’automatiser cette tâche. Les tâches répétitives ou pénibles sont un gaspillage pernicieux à long terme pour le système « hyper », car elles freinent l’attractivité de l’usine, facteur numéro 1 de son succès.
- Le terme « bureaucratie » est par principe antilean, puisqu’il s’agit de réaliser des tâches sans valeur ajoutée en obéissant à des règles souvent rigides. Pourtant, au départ, l’idée de formalisation par écrit est conforme à la philosophie du lean : c’est en se mettant d’accord sur un standard de travail et en le formalisant que l’amélioration est rendue possible grâce au dialogue entre les personnes. La bureaucratie est un des pires gaspillages de l’hyper : elle est diamétralement opposée à l’état d’esprit du « fail fast » (initiative personnelle, prise de risque) et elle freine les décisions.
Les gaspillages « virtuels »
Certains gaspillages ne sont pas visibles directement sur le terrain. Il est donc nécessaire de passer du temps à cartographier les flux d’informations et à interagir avec les équipes pour les identifier et pour les faire reconnaître comme tels : c’est le cas de l’indécision, des silos organisationnels, de l’inconfort d’usage et des données inexploitées.
- L’indécision est un poison dans un monde qui doit réagir à l’heure. La méthodologie de création de startup nous apprend que « pivoter » doit faire partie de l’ADN d’une organisation qui progresse vite et apprend vite. Pour ce faire, il faut être capable de décider vite. L’indécision conduit systématiquement à de la lenteur, mais aussi et surtout à de la démotivation. Elle doit donc être chassée en permanence.
- Comme l’indécision, les silos ne sont pas faciles à voir lorsque vous déambulez dans une usine. Ces fractures organisationnelles ont eu tendance à prospérer dans les groupes depuis une vingtaine d’années, sous le poids de la spécialisation des métiers. Les conséquences sont souvent désastreuses : responsabilité diluée, prise de décision lente, découragement des équipes, temps perdu à négocier en interne et défocalisation du client final. Le silo est un des freins principaux à un fonctionnement agile, fluide et rapide, de bout en bout. Il doit donc être combattu au plus haut niveau et en permanence.
- L’inconfort d’usage est un ressenti, avant d’être une spécification mesurable. Longtemps considéré comme un mal nécessaire, voire souhaitable selon les managers les plus cyniques, ce sentiment était ignoré par le management. Car travailler en usine était par nature synonyme de conditions de travail difficiles. Mettre des outils conviviaux à la disposition des opérateurs était jugé potentiellement contreproductif : à quoi les équipes risquaient elles de jouer si on se mettait à leur fournir des smartphones ? L’inconfort d’usage mécontente les personnes qui sont dans l’entreprise et fait fuir les autres.
- Données inutilisées : les données sont la nouvelle source de valeur, de telle sorte que les données inexploitées doivent être surveillées quotidiennement par chaque manager. Aujourd’hui, les données existent en abondance dans les usines. Mais la convergence entre toutes ces données existe rarement, faute d’une bonne architecture IT capable de privilégier la collecte des données. Souvent aussi l’héritage informatique et l’empilement des couches « emprisonnent » une partie des données, rendues ainsi inaccessibles aux équipes de terrain.
Toutes ces données ne sont cependant pas forcément utiles à l’amélioration continue. Il y a donc au préalable une « éducation » à faire sur l’importance des données, leur collecte et leur utilisation. Ne pas exploiter les données au XXIe siècle est aussi incongru et néfaste qu’acheter une machine pour la laisser dormir : c’est une aberration du système.
Comment prendre le virage et réussir sa transformation ?
Les dirigeants industriels trouveront dans l’ouvrage Hyper-manufacturing : l'après lean de Michaël Valentin tous les principes de l'hyper-manufacturing et les clés pour une transformation réussie (stratégie, investissements, compétences, méthodologie, état d'esprit...) agrémentés de témoignages d'industriels (Tesla, Michelin, Airbus...).