Entretien avec Emily Darlington et Julien Masson sur les enjeux que constitue la santé non seulement comme prérequis aux apprentissages mais également pour son rôle de catalyseur
En cette période de pandémie tout autant dramatique que particulière, le terme de santé revient comme un leitmotiv sur toutes les lèvres. La santé fait l’objet de toutes les attentions et constitue l’objectif de tous, chacun à son niveau. Lorsque l’on évoque l’école, la santé n’est pas en reste.
Si jusqu’ici, le terme ne semblait pas constituer la principale priorité du monde scolaire, cette thématique étant bien souvent laissée en charge des soignants pour diverses raisons, la situation actuelle rebat complètement les cartes. Dorénavant, les conditions sanitaires prévalent aux apprentissages ou tout au moins constituent un prérequis au retour d’une dynamique pédagogique en présentiel.
Pourtant des paradoxes apparaissent : alors que la majorité des gens est confinée, à l’abri du virus, en bonne santé en somme, les adultes comme les enfants ne semblent pas pour autant épanouis, apaisés… heureux. Alors même que l’on n’est pas malade, on ne se sent pas forcément en bonne santé. C’est d’autant plus vrai chez les enfants.
Dans ces conditions, la construction de nouveaux apprentissages chez eux parait compliquée. Les enfants, même s’ils ne sont pas malades (a priori), ne paraissent pas enclins à revêtir leur habit d’élève confiné ; leur motivation semble fragile et leur bien-être l’est tout autant.
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Pour essayer d’y voir plus clair, penchons-nous d’abord sur la définition de la santé.
Ce n’est a priori pas aussi évident qu’il y parait. Que signifie, en effet, « être en bonne santé » ? Est-ce un état physique visible ? Invisible ? Est-ce un état psychique ? Qui peut mesurer cet état ? Force est de constater que les définitions de la santé, et de ce que signifie « être en bonne santé » ont fait l’objet d’évolutions notables au fil des ans. Première date clef, 1946, année au cours de laquelle l’OMS décentre la définition de la santé d’une absence pure et simple de maladie. Elle devient « un état de complet bien-être physique, psychique et social et pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité ».
Alors bien évidemment, on voit rapidement apparaître une limite à cette définition : l’aspect « d’entièreté » semble difficile à atteindre. Peut-on, en effet, espérer un « complet » bien-être ? N’est-ce pas utopique, ou tout simplement impossible ?
La charte d’Ottawa, ratifiée en 1986, enfonce le clou de l’intégration des dimensions socio-environnementales comme composante indispensable à la santé, plutôt que l’adoption d’une vision simplement biomédicale. Les limites évoquées précédemment sont également reconsidérées puisqu’il ne s’agit plus d’atteindre un état complet, parfait, mais la santé est dès lors « considérée comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme constituant l’objectif de la vie. La santé est un concept positif qui met l’accent sur les ressources sociales et personnelles des individus, ainsi que sur leurs capacités physiques » (OMS, 1986).
Depuis, l’OMS a encore affiné sa définition en rappelant que la santé n’est pas un état, ni une fin en soi. Il s’agit d’un moyen, une ressource pour permettre à chaque individu de mener une vie productive, à la fois d’un point de vue économique, mais également social : « La santé est une ressource de la vie quotidienne, pas l’objet de la vie. Il s’agit d’un concept qui priorise les ressources sociales et personnelles, et les capacités physiques ».
A travers ce bref historique, on comprend mieux que l’absence de maladie ne constitue pas une condition suffisante à la santé. Ce concept, bien plus complexe, regroupe ainsi notamment la notion de bien-être mais il constitue également une ressource, au service de l’individu. On peut dès lors se demander si cette ressource pourra être au service de l’enfant, et au-delà de l’élève, dans ses apprentissages, tout particulièrement en période de pandémie.
A cette question, la recherche apporte une réponse unanime : la santé aide les enfants à apprendre, et cette relation s’inscrit dans un cercle vertueux, car ce sont ceux qui ont construit les apprentissages les plus solides qui sont en meilleure santé à l’âge adulte.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous pouvons ici présenter quelques résultats qui montrent clairement que chez les enfants, la santé constitue non seulement un prérequis aux apprentissages mais qu’elle se révèle de plus être un véritable catalyseur. Pour ce faire, nous nous appuierons sur des leviers identifiés comme promoteurs de santé que sont le bien-être, la littératie et les compétences psychosociales.
La réussite via le bien-être
Comme évoqué précédemment dans la définition originelle de l’OMS en 1946, le bien-être fait partie intégrante de la santé. Si de nombreuses théories du bien-être existent, la littérature scientifique montrent clairement, et ce depuis de nombreuses années, que ce dernier est fortement corrélé à la réussite scolaire, et ce tout au long du parcours scolaire de l’élève. Cela semble une évidence, mais se sentir bien à l’école permet de mieux apprendre. Si cela peut paraître très intuitif, la recherche est maintenant capable de montrer que cela se vérifie. De nombreuses études rapportent en effet des niveaux élevés de corrélation entre le bien-être ressenti par les élèves et leurs résultats dans les différentes disciplines de l’école.
De plus, le bien-être agit de manière indirecte sur la réussite des élèves puisqu’il impacte positivement leur motivation. Ainsi, plus les élèves ressentent du bien-être, plus ils sont motivés. Or, il est clairement établi que plus la motivation est élevée, plus cela impactera la réussite des apprentissages. Ainsi, le bien-être constitue un véritable moteur à l’école.
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La réussite scolaire via la littératie en santé
Ce concept a été théorisé par Nutbeam (2000) : selon lui, la littératie en santé regrouperait « les compétences cognitives et sociales qui déterminent la volonté et la capacité d’un individu de repérer, de comprendre et d’utiliser de l’information afin de promouvoir et maintenir une bonne santé ». La littérature scientifique nous montre clairement que plus le niveau de littératie des élèves est élevé, meilleure est leur santé et plus ils sont dans une dynamique de réussite scolaire. Ces compétences de littératie revêtent en effet un caractère transversal qui permet aux élèves de réinvestir celles-ci dans tous les domaines scolaires. Promouvoir la littératie en santé, à la fois des élèves mais également de tous les membres de la communauté éducative, est plus que jamais une priorité actuelle, dans le flot d’informations et de messages qui inondent actuellement tous les citoyens.
La réussite via les compétences psychosociales (CPS)
Ces compétences psychosociales sont issues des travaux de l’OMS qui, en 1993, propose la définition suivante : « les compétences psychosociales sont la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental, en adaptant un comportement approprié et positif, à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement. Les CPS ont un rôle important à jouer dans la promotion de la santé dans son sens le plus large, en termes de bien-être physique, mental et social » (OMS, 1993, p. 5). Ces compétences sont ainsi regroupées en cinq paires :
- Savoir résoudre les problèmes - savoir prendre des décisions.
- Avoir une pensée créatrice - avoir une pensée critique.
- Savoir communiquer efficacement - être habile dans les relations interpersonnelles.
- Avoir conscience de soi - avoir de l'empathie pour les autres.
- Savoir gérer son stress - savoir gérer ses émotions.
Là encore, les promouvoir, c’est permettre aux enfants d’être en meilleur santé et in fine de mieux réussir dans leurs apprentissages. Il existe en effet actuellement un certain nombre de programmes visant le développement des CPS. Même si les résultats ne sont pas encore très nombreux, on peut cependant noter une amélioration de la santé des enfants bénéficiant de ces interventions, notamment au niveau de leur bien-être, et ce quelques soient leurs origines, leur milieu socio-économique ou l'emplacement de leur école. A nouveau, la pandémie qui met à mal certaines façons de « vivre ensemble », nous imposant une distanciation physique et une réorganisation de nos interactions sociales, tend à réaffirmer le rôle protecteur ou, au contraire, délétère du manque de développement de ces compétences.
Au travers de ces quelques exemples, nous avons essayé de montrer que la santé, entendue dans son acception globale et positive, est l’affaire de tous et pas seulement du corps médical et paramédical. Encore une fois, la santé ne saurait se résumer à l’absence de maladie. Dans le contexte actuel, ce postulat est d’autant plus flagrant et important qu’il est au cœur des débats. Ne pas être malade ne suffit pas aux enfants pour aller bien comme cela ne suffit pas aux enfants pour bien apprendre. Le bien-être constitue un élément clef de la santé tout comme cette dernière constitue une ressource indispensable aux apprentissages. Gardons cela en tête lorsque nous « travaillons » avec nos enfants/élèves. Leur permettre cette bonne santé physique, psychique et sociale, c’est leur donner accès aux apprentissages. Il n’est peut-être pas nécessaire de se focaliser sur la technique opératoire de la multiplication ou sur l’accord du participe passé, mais plutôt de travailler des compétences plus transversales en se donnant l’occasion de favoriser leur bien-être !
Emily Darlington est Maitresse de conférences à l’Université Claude Bernard Lyon 1 – INSPE de l’Académie du Rhône.
Ses recherches, au sein du laboratoire Parcours Santé Systémique EA 4129, portent principalement sur les projets de promotion de la santé, particulièrement en milieu scolaire, sur les écoles promotrices de santé et les approches participatives. Elles est membre du bureau du Réseau UNIRéS (Réseau des universités pour l’éducation et la promotion de la santé), et du comité de pilotage du groupe de recherche du réseau des Ecoles Promotrices de Santé en Europe (SHE Network Foundation). Elle est également co-coordinatrice du réseau « éducation à la santé » de l’Association Européenne de Recherche en Education. Elle est co-autrice de l'ouvrage "Promotion de la santé et réussite scolaire" aux Editions Dunod.
Julien Masson est maître de conférences à l’Université Claude Bernard Lyon 1 – INSPE de l’Académie du Rhône.
Ses recherches, au sein du laboratoire Parcours Santé Systémique EA 4129, portent sur les liens qu'entretiennent motivation, bien-être et bienveillance à l'école. Il est également membre du Réseau UNIRéS (Réseau des universités pour l’éducation et la promotion de la santé) et du réseau des Ecoles Promotrices de Santé en Europe (SHE Network Foundation). Il est l'auteur de l'ouvrage "Bienveillance et réussite scolaire" et co-auteur de l'ouvrage "Promotion de la santé et réussite scolaire" aux Editions Dunod.