Entretien avec Jean-Éric Pelet Enseignant-chercheur à l'ESCE International Business School Paris
L'engagement des profs et des étudiants et les médias sociaux liés aux cours favorisent l’efficacité des apprenants
En période de confinement, par exemple durant le COVID-19, le recours à des méthodes d’apprentissage à distance devient une nécessité pour les établissements scolaires. Qu’ils mettent à disposition de leurs étudiants des plateformes ou qu’ils laissent les professeurs se charger du choix de tel ou tel outil, sites web, applications mobiles, réseaux sociaux, chaîne Youtube ou autre, les établissements doivent trouver la meilleure méthode pour accompagner chaque étudiant et le conduire vers le succès, dans la supervision de mémoires ou l’apprentissage d’une matière en général. Or, tous les étudiants ne sont pas égaux face à ces nouvelles pratiques, et la motivation nécessaire pour obtenir les « crédits » indispensables à la progression n’est pas toujours simple à trouver. Pour comprendre ce phénomène, une récente étude conduite par deux jeunes enseignants chercheurs montre cependant qu’il est possible de favoriser l’apprentissage distant, grâce à des outils et techniques, disponibles sur Internet, à condition de s’intéresser aux étudiants.
Les étudiants sont donc prêts à utiliser leurs propres appareils mobiles pour rejoindre les groupes, créés sur les médias sociaux, afin de retrouver leurs camarades. Ils peuvent créer des groupes de cours sur les médias sociaux avec leurs camarades de classe et s'engager dans les sujets de cours à travers ces médias sociaux. S'engager dans des sujets de cours par le biais de groupes créés sur les médias sociaux peut se faire en suivant le contenu posté par d'autres camarades de classe, en discutant des sujets liés au cours, en profitant de l'apprentissage social afin d'améliorer l'auto-efficacité. L'auto-efficacité fait référence aux croyances des élèves quant à leur capacité à réussir dans un cours en vue d'atteindre un certain niveau scolaire comme défini par les auteurs Pelet et Zamani en 2019 (https://scholarspace.manoa.hawaii.edu/handle/10125/64070). De nombreux facteurs peuvent encourager ou décourager les étudiants à utiliser les médias sociaux pour s'engager dans les matières du cours. La recherche conduite par nos jeunes auteurs examine les effets du flow, de l'eudémonisme, de la mobilité et de l'anxiété sociale sur l'engagement dans des groupes créés sur des médias sociaux liés au cours et elle questionne aussi la façon dont l'engagement dans les matières du cours par le biais des médias sociaux affecte l'efficacité des étudiants.
Mutisme sélectif, engagement dans les médias sociaux et efficacité dans le cours
L'engagement dans les médias sociaux implique des interactions entre les utilisateurs. Les médias sociaux offrent aux étudiants des espaces pour partager leurs idées sur des sujets liés aux cours et apprendre les uns des autres. En comparaison aux personnes socialement qualifiées, les utilisateurs souffrant d'anxiété sociale peuvent être moins enclins à partager l'information et à s'exprimer dans des espaces au sein des médias sociaux.
L'une des conséquences de l'anxiété sociale en classe s'appelle le "mutisme sélectif", qui fait référence à l’impossibilité persistante de parler devant ses camarades de classe et devant l'enseignant. L'incapacité de communiquer efficacement avec ses camarades de classe en raison du mutisme sélectif peut nuire à la réussite scolaire car la communication et la collaboration avec les camarades de classe constituent une condition préalable à l'apprentissage actif.
Des recherches antérieures ont montré que, parce que le contenu partagé dans les groupes de médias sociaux était visible par tous les membres du groupe, les communications au sein de tels groupes étaient considérées comme publiques et fuyantes. Tous les membres du groupe des médias sociaux peuvent lire, voir et écouter les contenus disponibles au sein du groupe. En tant que lieu de connaissances, les médias sociaux permettent également aux individus d'exposer leurs connaissances à d'autres membres ainsi que de localiser d'autres détenteurs de connaissances et de découvrir précisément qui sait quoi.
Un lieu de connaissances à mobilité accrue
Les technologies mobiles telles que les médias sociaux permettent aux individus de percevoir le monde comme étant plus mobile et plus flexible. Les médias sociaux peuvent servir d’entrepôts de connaissances dans le domaine des sciences et de l'apprentissage. Ils permettent aux individus de créer et de partager des idées accessibles à tous les membres, indépendamment du moment et du lieu.
Vivre l'état de flow et d'eudémonisme au sein des médias sociaux. Csikszentmihalyi a découvert l'état de flow dans le but d'explorer la motivation intrinsèque à s'engager dans des activités axées sur des buts précis en 1975. Le flow est une expérience agréable dans laquelle se concentrer sur une activité et sur le traitement de l'information semble se passer sans effort. Une étude conduite en 2017 par Pelet, Ettis et Cowart a montré que les utilisateurs de médias sociaux connaissent l’état de flow lorsqu'ils utilisent des applications de médias sociaux et interagissent avec d'autres utilisateurs via des espaces au sein de ces médias sociaux (https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0378720616300489). L'un des principaux objectifs qui motivent intrinsèquement les êtres humains repose sur le désir d'une vie significative. Les chercheurs en psychologie positive attribuent le désir de sens dans la vie à la motivation eudémonique. Certains chercheurs affirment que les activités qui induisent l'état de flow font partie des activités d'auto-définition qui aident les individus à réaliser leur vrai soi et à satisfaire leurs motivations eudémoniques.
Modèle théorique de la recherche
Selon les arguments présentés ci-dessus, les activités qui induisent l'état de flow aident les individus à vivre l'eudémonisme. Plus les individus sont motivés par l'eudémonisme, plus ils sont ouverts aux expériences nouvelles et stimulantes et tentent de maîtriser divers défis afin de réaliser leur croissance personnelle. Des recherches antérieures ont prouvé que les utilisateurs pouvaient ressentir un sentiment euphorique de flow au sein des médias sociaux. La mobilité est l'une des autres raisons pour lesquelles les étudiants se connectent à des applications mobiles tels que les médias sociaux. Or, le mutisme sélectif est corrélé négativement avec l'efficacité personnelle. Les étudiants muets qui souffrent d'anxiété sociale seraient donc moins motivés pour s'exprimer sur les médias sociaux. Cependant, étant donné que les groupes de médias sociaux liés au cours permettent aux étudiants muets de lire le contenu fourni par leurs camarades de classe et néanmoins d’observer les discussions de leurs camarades de classe, l’engagement envers le média social peut atténuer l’effet du mutisme sélectif sur l’auto-efficacité du cours.
Collecte de données et échantillonnage
Un questionnaire en ligne a été conçu pour recueillir des données. Les chercheurs ont invité les étudiants à participer à l’enquête en utilisant les « stories » d'Instagram [1], des canaux et autres groupes sur WhatsApp et Telegram, ainsi que des pages sur Facebook et Linkedin.
Résultats
Certains chercheurs soutiennent que l'ouverture à l'expérience en tant que dimension de la réalisation de soi et de l'eudémonisme, prédit la tendance à vivre l'expérience de flow. Les personnes qui font l'expérience de l'eudémonisme et qui sont ouvertes aux expériences difficiles sont plus sujettes à l'état de flow. Des chercheurs collaborateurs soutiennent également que les activités génératrices de flow aident les individus à ressentir l'eudémonisme, un état de bien-être généralisé. Dans cette étude, la relation la plus forte existe entre l'expérience eudémonique et l'état de flow. Les résultats montrent que l'engagement envers les médias sociaux affecte positivement l'auto-efficacité du cours, et que le mutisme sélectif affecte négativement l'engagement envers les médias sociaux ainsi que l'auto-efficacité. Ces résultats sont conformes aux résultats de recherches antérieures.
Les enseignants peuvent recruter un assistant pour répondre aux questions des étudiants à tout moment, comme un sorte de « Community manager [2] » du cours en jouant le rôle de l’intermédiaire entre la classe et lui/elle. Comme l'engagement au sein des groupes des médias sociaux liés au cours augmente l'auto-efficacité des étudiants, plus les étudiants sont encouragés à utiliser les groupes au sein des médias sociaux, plus ils sont susceptibles d'avoir une plus grande efficacité et d'obtenir de meilleurs résultats scolaires. Cependant, ces propos doivent être nuancés. L'implication des enseignants dans ce contexte est une recommandation à méditer selon le média social...voire de façon générale.
Ont-ils intérêt à être impliqués dans ces démarches mises en place par les étudiants ? Rien n’est moins sûr. Lorsque vous démarrez un cours en France, les étudiants créent un groupe sur leur réseau social, par exemple WhatsApp, quand en classe a été validé le choix de créer un groupe sur Slack. En Chine, lorsque vous proposez la création d’un groupe sur Wechat lors du premier cours, un autre groupe a déjà été créé en parallèle sur WeChat. Le professeur n’appartient à aucun de ces deux groupes. Besoin d’intimité ? De dire ce qu’on pense d’un cours ou du professeur sans qu’il le sache ? Besoin de se transmettre des informations qui vont au-delà du cours ? Toutes ces questions de manière probable, la question reste entière. Mais point de flow ou de motivation eudémonique ici. Ce « jardin secret digital » créé par la classe témoigne davantage de la volonté d’un groupe de s’affranchir de l’autorité tant que cela est permis. C’est sûrement très bien, pourvu que cela dure.
[1] - Une « story » sur Instagram est un contenu (photo ou vidéo) — ou une série de contenus — que l'on publie sur Instagram et qui s'efface automatiquement après 24 heures.
[2] - Le community manager doit répondre à toutes les demandes qui peuvent circuler sur les réseaux