Plus qu'une critique de l'économie capitaliste, Christian Felber explique comment une nouvelle voie est possible en conservant une large place à l'économie de marché mais en réorientant celle-ci vers les biens communs.
Aujourd’hui, une entreprise peut « réussir » tout en supprimant des emplois, en détruisant l’environnement, en sapant la démocratie et en produisant de l’absurdité. Pourtant, il existe dans les constitutions un consensus sur ce qu’est l’objectif de l’activité économique : il s’agit de promouvoir le bien commun.
Le but de l’activité économique
Lorsque je donne des conférences dans des écoles de commerce ou des facultés de sciences économiques à l’université, et que j’interroge les étudiantes et les étudiants sur le but de l’activité économique, j’obtiens presque toujours les mêmes réponses :
« l’argent », « les bénéfices », « le profit ». Et je pose une deuxième question : « Qui dit cela ? » – « C’est ce que nous apprenons. » – « Et à quelles sources se réfèrent vos enseignants et enseignantes ? » – Silence. – « Qu’est-ce qui justifie que le profit ou la multiplication de l’argent soit le but de l’activité économique ? » – Silence.
Je suis allé chercher des pistes dans les constitutions des États démocratiques. J’ai commencé par consulter celle de l’État bavarois ; « L’activité économique dans son ensemble est au service du bien commun », y lit-on mot pour mot. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’une erreur. Mais d’autres constitutions disent la même chose : « Propriété oblige », lit-on dans la Loi fondamentale allemande, et « son usage doit contribuer en même temps au bien de la collectivité ».
Selon la Constitution italienne, « l’activité économique publique et privée » doit être « orientée et coordonnée vers des fins sociales ». La Constitution colombienne dit : « L’activité économique et l’initiative privée sont libres dans le cadre des limites du bien commun. » Et même la Constitution américaine évoque en son préambule la volonté de « développer le bien-être général ».
Toutes les cultures connaissent la valeur qui s’attache au bien commun
Il existe dans les constitutions un consensus sur ce qu’est l’objectif de l’activité économique : il s’agit de promouvoir le bien commun. Je ne connais aucune exception. Tout du moins, on ne trouve aucune constitution pour affirmer que le but de l’activité économique est la multiplication du capital ou le profit financier. C’est une tout autre affaire dans les manuels d’économie. Robert Pindyck et Daniel Rubinfeld écrivent : « La théorie de l’entreprise part aujourd’hui d’une supposition simple : les entreprises cherchent à maximiser leurs profits. » Comment concilier cela et les constitutions ? Voici 2 300 ans, Aristote faisait déjà la distinction entre deux conceptions de l’économie.
Dans l’oikonomia originelle, le but est le bien-être de tous les membres du foyer. L’argent et le capital ne sont que des moyens ; s’ils deviennent des fins, l’oikonomia se pervertit pour devenir une chrematistiké, « l’art de gagner de l’argent et de s’enrichir », ce qu’Aristote déconseillait clairement.
En Occident règne depuis plus de deux millénaires un consensus sur le but de l’activité économique. Le directeur de l’Institut Weltethos, Claus Dierksmeier, en tire cette conclusion : « D’Aristote à Adam Smith inclus, en passant par Thomas d’Aquin, il existait un consensus autour de l’idée que la théorie et la pratique économiques devraient être aussi bien légitimées que limitées par un objectif supérieur (en grec telos), tel que le ‘bien commun’. » Toutes les cultures connaissent la valeur qui s’attache au bien commun : en Amérique latine, on parle du buen vivir, en Afrique le terme ubuntu est courant, au Bhutan on souligne l’importance d’un bonheur touchant la totalité du pays. En Italie, la notion de « bonheur public » était déjà courante au XVIIIe siècle. Le penseur de l’éthique économique Timo Meynhardt, de l’université de Saint-Gall, écrit : « Manifestement, chaque langue de cette planète possède un mot pour désigner le bien commun […] Une théorie sociale qui se passe de la référence au bien commun [n’existe] tout simplement pas ! »
Pour une économie du bien commun - Christian Felber
L’Économie du Bien Commun ne propose rien d’autre que la mise en œuvre, dans l’ordre économique réel, de l’objectif fixé par les constitutions : redéfinir la performance économique, remplacer le PIB par indicateur qui mesurerait le bien-être des citoyens, récompenser les efforts, réformer l’utilisation des profits…
Dépassant la dichotomie capitalisme/communisme, le modèle économique alternatif proposé par l’Économie du Bien Commun repose sur quatre piliers : la justice sociale, la participation démocratique, la dignité humaine et la durabilité.