Rencontre avec Raphaëlle Laubie, Entrepreneure, DG du Think Tank Le Cercle du Leadership, et Professeure Affiliée à ESCP Business School.
Les styles de leadership et succès des approches retenues sont fortement dépendants des formes de pouvoir et stratégies d’influence en présence.
Deux catégories principales peuvent s’illustrer : les stratégies dures (regroupant des pouvoirs formels : les pouvoirs légitime, de récompense et coercitif) et les stratégies douces (regroupant des pouvoirs personnels : les pouvoirs d’information, d’expertise, de connexion, de référence et de conviction). Certaines études1 soulignent que le pouvoir de référence détenu par des leaders charismatiques et justes, de par l’admiration et le respect portés, est sans doute le plus efficient quand il est doublé du pouvoir d’expertise et de conviction.
8 catégories de pouvoir
Une manière conventionnelle de définir le pouvoir consiste à faire référence aux capacités d’obtenir quelque chose ou d’influencer les résultats d’une action par le moyen de sources ou stratégies d'influence telles que l'accès à l’information, l’expertise, les liens sociaux ou la réputation… La relation entre le pouvoir et l’influence reste étroite tant il est difficile d’influencer sans posséder et user d’une certaine catégorie de pouvoir dans les relations.
Découvrir un extrait de : Pouvoirs et influences
Alors, fort de ce ou ces pouvoirs, qu’y a-t-il derrière ce concept d’influence ?
En psychologie sociale, l’influence est assimilée au pouvoir et dans les théories comme dans la pratique, l’influence apparaît comme un rapport entre un individu doté de ressources psychologiques (crédibilité, autorité, pouvoir…), et sa cible qui en manquerait. De là à considérer l’influence d’un œil suspicieux, il n’y a qu’un pas, comme le prouvent de nombreuses études sur la manipulation, la persuasion, l’engagement, qui ont connu un fabuleux succès en psychologie sociale, mais aussi auprès du grand public. On se rappelle notamment le Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens2 de Jean-Léon Beauvois et Robert-Vincent Joule ou encore Influence et Manipulation3 de Robert Cialdini. On dessine alors l’influenceur sous l’angle d’un manipulateur qui use de son pouvoir pour obtenir ce qu’il souhaite.
Nous pourrons alors distinguer les stratégies d’influence dures et douces, l’exercice de l’influence douce étant un aspect fondamental de la vie en entreprise. Il est difficile d’imaginer qu’une organisation puisse fonctionner efficacement sans que ses membres ne s’engagent dans des tentatives spontanées d’influence latérale (vers les collègues) ou ascendante (vers le supérieur hiérarchique).
Plus précisément, quelles sont les catégories proposées par les études ?
Selon les psychologues sociaux John French et Bartram Raven4, il existe 5 sources du pouvoir des managers et leaders, étendues à 7 par la suite : les pouvoirs légitime, de récompense, coercitif, d’information, d’expertise, de connexion et de référence :
- Le pouvoir légitime, reposant sur le statut d’une personne (N+1),
- Le pouvoir de récompense, résultant de la capacité d’une personne à récompenser (augmentations, promotions…),
- Le pouvoir coercitif, reposant sur la crainte de sanctions ou autres outils de coercition,
- Le pouvoir d’information, résultant de la capacité d’une personne à contrôler l’information,
- Le pouvoir d’expertise, reposant sur le niveau de compétences et de connaissances,
- Le pouvoir de connexion, reposant sur la puissance du réseau,
- Le pouvoir de référence, reposant sur l’admiration ou le respect portés.
Réputation ou pouvoir de référence
Si l’on s’intéresse à la réputation ou au pouvoir de référence, de nombreuses célébrités incarnent des modèles de valeurs et d’initiatives au service de causes sociales. Cette exemplarité leur confère ce pouvoir de référence soutenu par leur réputation et leurs engagements.
« L’élégance est la seule beauté qui ne se fane jamais »
Audrey Hepburn
Après avoir mis un terme à sa carrière d’actrice, Audrey Hepburn consacra une grande partie de sa vie à l’UNICEF pour en devenir l’ambassadrice itinérante en 1989. Dévouée à l’aide et la protection des enfants les plus défavorisés, elle se vit remettre la plus haute distinction honorifique civile américaine, la Médaille présidentielle de la Liberté.
« L'égalité des sexes libère non seulement les femmes, mais aussi les hommes soumis aux stéréotypes du genre »
Emma Watson
En 2014, l’actrice Emma Watson, nommée ambassadrice de bonne volonté par l'ONU Femmes, lança, lors d’un discours au siège des Nations unies, la campagne de solidarité, HeForShe, pour l'égalité des sexes.
« Dans le futur, les leaders seront ceux qui savent donner le pouvoir aux autres »
Bill Gates
Dans le monde des affaires, Bill Gates fait également référence. Cet autodidacte, seconde fortune mondiale derrière Jeff Bezos, a su alterner les styles de leadership pour encourager la créativité au sein de ses équipes tout en gardant un management autoritaire. En 2006, Bill Gates a annoncé qu'il quittait ses fonctions chez Microsoft pour se consacrer à plein temps à la philanthropie. En 2007, Bill et Melinda Gates avaient fait don de plus de 28 milliards de dollars à des œuvres caritatives, le couple prévoyant de donner à terme 95% de son patrimoine à des œuvres de bienfaisance.
Ces actions et chemins de vie font sens pour ces célébrités comme pour ceux qu’ils inspirent. En agissant au service de leurs convictions, ils gagnent le respect et certains aspirent même à suivre leurs voies. À cet égard, ils font preuve d’un réel pouvoir de référence aux yeux du plus grand nombre.
Il existe de nombreuses sous-catégories concernant les stratégies d’influence et un consensus dans la littérature scientifique s’est développé autour de l’énumération du chercheur Gary Yukl5 explicitée en 2002. Ces stratégies d’influence peuvent aisément être reliées aux sources de pouvoir que nous avons déjà énumérées mais en les rapprochant des 7 sources de pouvoir, une 8ème semble s’imposer comme celle du pouvoir de conviction :
- Le pouvoir de conviction, regroupant la capacité d’une personne à convaincre en argumentant (appel à la raison), en éveillant des émotions (appel aux émotions) ou en sollicitant l’opinion ou suggestions de la cible pour créer son engagement (appel à la consultation).
Dans ces 8 stratégies d’influence, on en revient également à distinguer deux catégories majeures : les stratégies dures (regroupant des pouvoirs formels) et les stratégies douces (regroupant des pouvoirs personnels).
La stratégie dure peut être décrite comme le moyen d’obtenir le résultat souhaité soit par le biais de demandes directes et autoritaires, soit par le biais de menaces et d’agressions manipulatrices. On revient alors à un concept proche de l’autorité et du pouvoir légitime. Elle concernera donc les pouvoirs dits formels : les pouvoirs légitime, de récompense et coercitif.
La stratégie douce est évoquée lorsque l'influenceur cherche à se conformer de manière rationnelle ou amicale en argumentant, flattant et en sympathisant avec la cible d'influence. La stratégie douce implique un moyen d'influence moins agressif et plus psychologique, conçu pour garantir un résultat favorable pour la cible et obtenir une soumission librement consentie. Elle concernera donc les pouvoirs dits personnels : les pouvoirs d’information, d’expertise, de connexion, de référence et de conviction.
Les différentes formes de pouvoir et stratégies d’influence affectent le leadership et le succès de chacun. Les styles de leadership, qui reposent sur les stratégies d’influence dures, peuvent conduire à un style de leadership technocrate et mécanique. Les études ont démontré par exemple que les managers à la tête d’une fonction perçue comme stratégique dans l’organisation faisaient davantage usage de tactiques « dures » que de tactiques « douces ».
Elles soulignent aussi que les leaders peuvent bien sûr mêler les styles en fonction des situations même si les pouvoirs de référence, d’expertise, légitime ou d’information semblent obtenir de meilleurs résultats ; les pouvoirs de coercition, de connexion ou de récompense dérivant parfois vers de la manipulation. Le pouvoir de référence, de par l’admiration et le respect portés, et détenu par des leaders charismatiques et justes, est sans doute le plus efficient.
Elles indiquent enfin que dépendre uniquement du pouvoir de référence n’est pas une bonne stratégie pour un leader - dirigeant, enseignant ou homme politique… - qui aspire à asseoir sa crédibilité. Il est plus judicieux de le doubler du pouvoir d’expertise et de conviction pour un plus grand succès.
L’enseignant, par exemple, est certes doté par l’institution des pouvoirs légitime et de récompense mais il n’aura véritablement d’influence sur son audience que s’il sait réunir les influences d’expertise, de conviction et de référence.
D’abord, l’excellence de son expertise motivera l’envie d’apprendre de son audience qui se placera naturellement dans une posture de respect face à la sagesse du sachant et son capital intellectuel.
Ensuite, sa force de conviction quel que soit l’axe retenu - émotionnel, rationnel et/ou consultatif - sera un facteur déterminant de l’engagement des étudiants. Sans engagement, qu’il soit initié par la clarté du raisonnement du sachant ou par la sympathie ou l’empathie ressentie pour l’orateur ou son sujet, l’apprentissage et le « challenge » qui l’accompagne perdent de leur sens. L’enseignant devra alors les aider à se prononcer sur leurs intérêts, renforcer leurs croyances et forger leurs opinions à travers le développement de leurs compétences.
Enfin et toujours, la personnalité de l’enseignant, son charisme et le respect qu’il inspire garantiront l’attractivité de son enseignement. Sa notoriété pourra bien sûr jouer mais aussi et surtout l’attention portée et l’investissement émotionnel témoigné envers les étudiants. En effet, qu’importe le talent si la personnalité du sachant n’est pas en phase avec les valeurs de l’audience. Cette dernière rejettera alors ce précieux capital intellectuel privé de son adjuvant magnétique et alors jugé discordant et inconsistant.
L'utilisation de ce dernier pouvoir magnétique pour influencer le comportement des élèves peut être à la fois efficace et sain, mais attention à l’excès et au contrat implicite qui pourrait inverser les rôles et rendre l’enseignant dépendant de l’approbation de ses étudiants. C’est sans doute là que la triade référence-expertise-conviction est rendue vertueuse rappelant qu’à chaque chose l’excès nuit et la mesure est souveraine.
Catégories de pouvoir
- Pouvoir légitime : repose sur le statut d’une personne et sa position dans l’ordre hiérarchique
- Pouvoir de récompense : résulte de la capacité d’une personne à récompenser ses employés
- Pouvoir coercitif : repose sur la crainte de sanctions redoutées par l’employé
- Pouvoir d’information : résulte de la capacité d’une personne à posséder et contrôler des informations nécessaires ou recherchées
- Pouvoir d’expertise : repose sur le niveau de compétences et de connaissances possédées ou perçues
- Pouvoir de connexion : repose sur la puissance du réseau
- Pouvoir de référence : repose sur le respect et l’admiration portés
- Pouvoir de conviction : repose sur la capacité d’une personne à convaincre en argumentant (appel à la raison), éveillant des émotions (appel aux émotions) ou sollicitant l’opinion ou suggestions de la cible pour créer son engagement (appel à la consultation)
Bibliographie
1. Yukl, G. (2002). Leadership in Organization, Upper Saddle River: New Jersey: Prentice Hall.
2. J.-L. Beauvois et R.-V. Joule, Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, PUG, 2014
3. R. Cialdini, Influence et Manipulation, 1984
4. French, J. R. P., Raven, B. (1959). The bases of social power. In D. Cartwright and A. Zander. Group dynamics. New York: Harper & Row.
5. Yukl, G. (2002). Leadership in Organization, Upper Saddle River: New Jersey: Prentice Hall.
Think Tank Le Cercle du Leadership ➡️ https://lecercleduleadership.net/
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