No photo est un essai léger mais sans concession qui s’intéresse à la manie actuelle de numériser nos vies à outrance. Il s’adresse aux personnes sensibles aux excès du tout-connecté et du « tout photographier, tout le temps », aux citoyens avides de détox digitale dont la conscience écologique et sociale s’interroge.
Comme les selfies, les vues d’assiettes abondent sur les réseaux sociaux. Un déclic peut-il modifier une qualité olfactive et gustative constatée par l’odorat et les papilles ? Tentons de comprendre comment l’acte de photographier (et non plus seulement l’objet nommé photographie) modifie nos vies.
Certains chefs affichent même le logo « no photo » sur leur carte, tellement ces amateurs qui dégainent leur téléphone à chaque nouveau plat les agacent. Ce n’est pas une question de « secret industriel », plutôt d’esthétique malmenée par une prise de vue improvisée qui donnera une piètre image d’eux sur les réseaux sociaux. En effet, la lumière intimiste des restaurants ne convient pas, ni le flash qui éclabousse les zones brillantes, les reflets.
Pour leur communication, les chefs confient leurs créations culinaires à des photographes spécialisés qui aménagent un mini-studio avec une ambiance lumineuse à la fois intense et douce. Cette technique ne s’improvise pas. Ils fixent leur appareil sur un trépied et photographient à vitesse lente afin de maximiser la profondeur de champ. Les ingrédients gardent leurs couleurs grâce à une cuisson légère. Le plat destiné à l’image n’est donc pas forcément mangeable – deux objectifs parfois incompatibles.
Les professionnels déploient des trésors d’ingéniosité et de créativité pour ne pas reproduire bêtement des assiettes. Le Festival international de la photographie culinaire s’y consacre et rassemble ces talents. Les compositions qu’Irving Penn réalisa en 1946 sont toujours d’une modernité instructive, aux antipodes du #foodporn.
Dans leurs restaurants, les chefs déplorent les flashes intempestifs qui dérangent les voisins, voire le trépied que dressent certains clients. Le temps de poster sur les réseaux sociaux, les convives mangent froid, perdent le plaisir des parfums et saveurs. La table tweete au lieu de trinquer, répond aux commentaires sans parler. « Une table morte », regrettent plusieurs maîtres queux. « Les gens restent sous pression, alors que nous mettons tout en œuvre pour les déconnecter et qu’ils profitent d’un moment privilégié. »