Dans le premier chapitre de son livre « Un caprice du Néant - L'univers et ses merveilles », le grand vulgarisateur allemand Stefan Klein nous explique la création de notre monde à travers la vie d’une rose. Ce faisant, il démontre que science et poésie ne sont pas si éloignées que l’on croit ! Voyagez avec Stefan Klein pour mieux comprendre l’espace, le temps, l’univers, la lumière etc.
Ce texte est adapté du premier chapitre du livre Un caprice du Néant - L'univers et ses merveilles. Stefan Klein nous y explique à sa manière d’où viennent l’eau, l’air et la lumière, comment se sont formées les étoiles ou encore ce qu’est la matière noire…
Une rose nous montre que rien ni personne n'existe seulement pour soi.
Plus nous en savons sur la réalité, plus elle nous semble énigmatique.
Le grand physicien américain Richard Feynman raconte qu'un jour, un ami artiste lui demanda si le scientifique ne détruisait pas la beauté d'une rose en l'étudiant. Feynman répondit que non seulement il ressentait tout à fait la beauté que percevait l'artiste, mais qu'il voyait aussi une beauté plus profonde, révélée seulement par la compréhension : par exemple dans le fait que les fleurs ont évolué pour avoir des couleurs afin d'attirer les insectes.
Feynman aurait pu continuer en expliquant que le regard acéré du chercheur dévoile une beauté même dans ce qui nous paraît hideux ou dégoûtant au premier abord. Lorsque la fleur se fane, c'est un signe de déclin, mais si l'on y regarde de plus près, on peut observer la croissance de l'églantine au fond de la rose flétrie. Chaque graine du fruit est une merveille en soi : dans chacun de ces minuscules grains, l'embryon complet d'une rose attend le moment où il pourra se gorger d'eau, se dilater, faire éclater la coque et tendre ses minuscules feuilles vers le soleil.
Et ce n’est pas tout, la petite rose a besoin : de lumière, d'eau et d'oxygène.
L'air qu'elle respire lui a été légué il y a bien longtemps par d'autres êtres vivants. C'est l'héritage d'organismes unicellulaires qui couvraient le fond des mers d'un épais tapis bleu-vert il y a quelque trois milliards d'années et y vivent encore aujourd'hui. À l'époque, l'atmosphère terrestre ne contenait pratiquement pas d'oxygène, toute vie plus élaborée aurait étouffé. Ces organismes unicellulaires appelés cyanobactéries ne mesuraient que quelques millièmes de millimètre. Par rapport à la rose, ils peuvent nous sembler très primitifs, alors que c'étaient déjà de véritables chefs-d'œuvre de la nature. Les cyanobactéries ont créé l'air qui permet à la rose d'éclore. Elles ont rendu la terre habitable pour les formes de vie supérieures.
Ensuite, d'où la rose tire-t-elle son eau ? L'eau aussi a une histoire, qui remonte encore plus loin que celle de l'air. À l'origine, notre Terre était probablement sèche, un vrai désert. Comment s'est-elle transformée en un monde d'océans ? Nous ne le savons pas exactement. Parmi toutes les explications possibles, c'est précisément le scénario en apparence le plus fantastique qui s'avère le plus probable : l'eau est arrivée de l'espace. Elle a voyagé dans des comètes ou des astéroïdes qui, nés dans des régions plus froides du système solaire, se sont jetés sur notre planète aride comme de gigantesques boules de neige. Ce sont des gouttes de rosée du cosmos qui couvrent les feuilles de la rose.
Quant à la lumière, enfin, la rose la doit à l'interaction forte, ou force forte. Elle assure la cohésion des noyaux des atomes et œuvre au cœur du Soleil : les noyaux des atomes d'hydrogène fusionnent pour former de l'hélium en libérant une formidable énergie qui rayonne dans l'espace.
Le combustible, l'hydrogène, est la plus ancienne de toutes les substances : depuis la première minute après le Big Bang, il parcourt le cosmos. C'est à partir de l'hydrogène que tous les éléments se sont formés dans la fournaise des étoiles, à l'aide de l'interaction forte. Tout ce qui nous entoure sur la Terre provient de ces cendres d'étoiles, même le carbone qui compose le germe des fleurs. La rose est de la poussière d'étoiles métamorphosée.
Mais les étoiles qui ont permis à la rose d'exister sont nées de nuages d'hydrogène. Sous l'effet de leur propre pesanteur dans l'espace, ces nuages se sont tellement comprimés qu'ils ont fini par s'enflammer : la lumière stellaire a commencé à briller. Les étoiles se sont-elles donc donné naissance à elles-mêmes ? C'est ce que l'on a pensé pendant longtemps. Aujourd'hui, nous savons que même les étoiles ont eu besoin d'une aide extérieure. Tout l'hydrogène de l'univers ne réussirait pas à s'agglomérer en nuages grâce à sa propre pesanteur. Laissé à lui-même, il se serait simplement réparti uniformément dans l'espace, comme le sucre dans le thé. Les gaz ne se seraient jamais condensés, pas une seule étoile ne serait apparue dans le ciel. L'univers serait resté informe.
Il a donc fallu quelque chose de lourd pour amorcer le mouvement et attirer l'hydrogène afin qu'il forme ces nuages – quelque chose que nous ne connaissons pas. Parce que ce quelque chose n'émettait pas de lumière et est toujours resté invisible, on l'a baptisé « matière noire ». De quoi cette matière noire est-elle faite ? Quelles sont ses propriétés ? Nous ne le savons pas.
Pour Richard Feynman, qui réfléchissait sur la beauté de la rose, une grande partie de ces phénomènes était encore inconnue. Ce chercheur qui compte parmi les plus remarquables du XXe siècle est décédé en 1988. Cependant, ces dernières années, nos connaissances sur la structure du monde ont radicalement progressé. Nous sommes désormais capables de remonter l'histoire de l'univers, du moins dans ses grandes lignes, jusqu'aux premiers milliardièmes de seconde suivant sa naissance.
Pourtant, tout notre savoir n'est qu'une île au milieu d'un océan d'ignorance. Et lorsque nous parvenons à agrandir cette île, nous prolongeons d'autant la ligne côtière qui mesure l'étendue de nos lacunes. Ainsi, nos découvertes les plus spectaculaires n'ont jamais réduit le nombre et la complexité des questions restant à résoudre. Est-ce utile de réfléchir à ce qui est arrivé encore plus tôt, avant le Big Bang ? Y a-t-il réellement de la vie ailleurs dans l'univers ? Le temps et l'espace ne sont-ils que des illusions ?
Un monde s'offre alors à nous, qui est « non seulement plus bizarre que nous le supposons, mais plus bizarre encore que nous sommes capables de le supposer », comme l'a dit le biologiste britannique John Haldane.
Parce qu'une rose est bien plus qu'une simple rose. C'est un témoin de la naissance du monde.