Rencontre avec Veronique Barfety-Servignat et Françoise Hirsch autour de l’accompagnement des patients douloureux
Veronique Barfety-Servignat est Psychologue, Psychothérapeute. Elle exerce au CHU Lille ainsi qu’en libéral. Elle est chercheur associée sur l’université de Paris 8. Administratrice de la Revue Douleur et Analgésie. Françoise Hirsch est Psychologue clinicienne au Centre d’Etude et de Traitement de la Douleur du CHU Pierre Paul Riquet (Toulouse).
En quoi la douleur est-elle un problème ?
Facilement comprise au quotidien comme un signal d’alarme d’une perturbation somatique, la douleur ne peut s’appréhender si simplement. Elle peut même devenir une affaire compliquée, une affaire complexe (Barfety-Servignat, 2020). La douleur qui persiste, se succède, se répète, s’accumule tous les jours n’a plus à voir avec ce signal d’alarme. Car du fait de cette accumulation, de cette répétition et de ce cortège incessant de sensations douloureuses parfois imprévisibles, elle n’est plus seulement une douleur. Elle devient épuisement physique et psychologique où se profile légitimement une histoire de douleur morale. Elle impacte la vie au quotidien avec les autres, à la maison ou au travail. Elle amène à s’isoler pour ne rien dire de soi, de sa colère, de son irritabilité par le fait d’être envahit encore et toujours et de ne plus être celui ou celle qu’on était avant. Elle témoigne alors du fait de ne plus trouver sa place. Elle consume ce sentiment de sécurité dans ses propres capacités, dans les capacités de son corps qui flanche et fait souffrir. Elle finit par transformer le rapport au monde et au travail, jusqu’à l’impossibilité de reprendre une activité professionnelle. Et bien naturellement, la perte du travail contribue à renforcer l’isolement social et l’immobilité physique. La douleur impacte le moral dans des mouvements de dévalorisation très délétères. Et c’est un enjeu moral majeur : près d’un patient douloureux sur trois estime que la douleur est parfois tellement forte qu’il ressent l’envie de mourir (Livre Blanc de la douleur, 2017).
La douleur chronique concerne au moins 12 millions de français
Près de 20% des patients opérés conservent des séquelles douloureuses et la douleur cancéreuse est devenue une maladie chronique chez 50% des patients (Livre Blanc de la douleur, 2017). Mais nous voyons arrivés massivement en consultation aujourd’hui des personnes dont les douleurs professionnelles amènent aux arrêts de travail parfois à répétition et dont la souffrance au travail est majeure. Répétition, compétition, évaluation, placardisation, conflit de valeur et perte de sens font qu’aujourd’hui le monde du travail devient un monde qui fait mal (Pezé, 2018).
En quoi le confinement et la douleur entre en résonance ?
La situation du confinement comme nous l’a rappelé Antoine Bioy (2020) dans la précédente Newsletter Dunod, (voir l'article De la crise du covid aux premiers états généraux de la séniorisation de la société) peut avoir un retentissement psychique important de manière transitoire ou de manière plus persistante. Cette situation de confinement résonne doublement dans le cas de la douleur chronique notamment lorsque les personnes qui vivent avec des douleurs au quotidien la décrivent déjà comme une situation d’enfermement. En effet, l’individu comme chez le patient douloureux chronique, est constamment rappelé aux incapacités générées par l’existence non pas ici de la douleur chronique mais du virus.
Voir également : Psychiatrie à l’ère du confinement : la guerre est déclarée
Quoi qu’il en soit, dans les deux situations, chacun va se retrouver dans une situation de vie modifiée, où les possibilités d’action sont largement diminuées et restreintes. En effet, pendant cette période de confinement, la vie de chacun d’entre nous s’est trouvés modifiée par l’existence du virus et sa dangerosité. Cette situation singulière a imposé une transformation des habitudes de vie et mis à l’épreuve les capacités réactives et adaptatives des individus. Comme dans le confinement qu’impose la maladie chronique, nous avons pu noter une affectation sensible de nos modes de vie et de nos habitudes socio-professionnelles (réaménagement du travail, rupture des rythmes et horaires habituels). La douleur chronique, comme dans le confinement conséquence de l’épidémie, ralenti l’existence, désocialise et impose largement l’amoindrissement de tout ce que trouvait possible et réalisable le patient, avant l’apparition de sa douleur.
Dans la situation de confinement, l’insécurité induite se retrouve de la même façon chez nos patients douloureux chroniques, au travers d’une déstructuration des éléments qui construisaient l'environnement du quotidien. Le confinement et la douleur chronique entraînent la peur de l’avenir, la peur économique, la peur de la mort. Si ces circuits sont sur-sollicités, associés à une impuissance et une perte de contrôle de la situation actuelle, il y a un risque important de voir apparaître dans les deux situations, des troubles anxieux pouvant déboucher sur une chronicisation de cette anxiété, un état dépressif ou un état de stress post-traumatique. La peur, l’incertitude, les rumeurs, le manque de clarté, sont autant d’éléments qui favorisent la mise en lumière des fragilités physiques et psychiques d’une population confinée par le virus ou une douleur chronique. Dans le cas du confinement, l’isolement peut susciter des sentiments négatifs, un état de nervosité, de pessimisme et des manifestations psychosomatiques comme un trouble du sommeil et une asthénie associée. Il peut également exister une perturbation de l’humeur caractérisée par de l’irritabilité avec possible passage à l’acte, ou bien de la colère avec recherche d’un bouc-émissaire. Dans ce contexte il n’est pas improbable de retrouver une augmentation des violences domestiques et des comportements à risques de par une surconsommation d’alcool et de médicaments (Mengin A. et coll. 2020).
A quoi cela pourrait-il être dû ?
L’ensemble de ces éléments tient certainement au fait que si pour certains le confinement peut être vécu comme un contenant sécurisant, pour d’autres il est synonyme de “prison”, d’entrave de liberté. De fait le confinement est d’actualité lorsqu’il s'agit de protéger, d’isoler ou de mettre en retrait des individus dans une situation donnée. Mais plus qu’une séparation des individus entre eux, le confinement révèle une situation de contrainte sociale, légale, caractérisée par un état de soumission, un quotidien rythmé par des restrictions et le sentiment d’être piégé par des mesures contraignantes. Cette expérience désagréable qui est associée à une perte des libertés, peut amener à un sentiment d’incompréhension et de frustration entrainant des attitudes autocentrées de survie et de maintien des besoins individuels à travers un mouvement de fuite pour la recherche d’un refuge face à l’agressivité de son environnement. C’est ainsi que certains voudront disposer d’une réserve de produits de consommation par peur de privation, d’autres auront un comportement transgressif des mesures de confinement dans le but de se réapproprier une liberté de mouvement.
Si l’on revient à présent à considérer la situation du patient douloureux chronique confiné de par l’épidémie de covid 19 plusieurs éléments sont remarquables :
force est de constater que chez les majorité des patients douloureux chroniques le confinement dû au covid 19 n’est pas une situation nouvelle à fortiori contraignante : chacun des patients interrogés sur cette situation particulière s’entend sur le fait que la privation de liberté (caractéristique de la mise en confinement) n’est pas un fait nouveau pour lui et que s’y adapter n’a pas occasionné de difficultés particulières. Vécu d’impuissance, distance sociale, aménagement professionnel, renoncement, angoisse du vide sont du déjà vu pour le sujet douloureux. Les restrictions imposées par le confinement ont déjà été adoptées par le patient douloureux chronique qui subissant la douleur se voit empêché dans plusieurs actes de la vie quotidienne comme ceux par exemple impliquant mobilité et capacités à décider de façon autonome d’un emploi du temps et d’une conduite spécifique, adaptée à celui-ci. Au même titre que le confinement, la douleur est un frein puissant aux possibilités d’agir selon sa volonté, aux interactions sociales et professionnelles et plus largement à toutes possibilités au sens propre comme au sens figuré de vivre en relative autonomie. De fait nos patients interrogés sur cette situation particulière ne semblent pas en ressentir les effets délétères de façon soudaine et aigue comme la majorité de la population en bonne santé. Cette situation très particulière ne revêt pas chez eux le même caractère d’étrangeté. Certains d’entre eux nous dirons même qu’ils se perçoivent en quelque sorte comme « normalisés » ou encore que le monde s’est mis à leur rythme. Dans la toute récente étude DolPsyCovid (2020) initiée par la consultation Douleur et Rhumatologie du CHU de Lille en partenariat avec le laboratoire de psychopathologie et neuropsychologie de Paris 8, 8% des patients vivants avec une douleur chronique déclarent même vivre mieux la douleur en situation de confinement.
Y-a-t-il des particularités chez certains patients ?
Ce que l’on a pu observer de façon récurrente, est que chez les patients douloureux chroniques, le confinement dû à la pandémie vient compliquer leur isolement forcé : en effet, il impose une rupture des habitudes quotidiennes souvent matérielles, et des stratégies mises en place pour faire face de façon efficace à la douleur, en les désorganisant. Il va exister aujourd’hui une surcharge d’éléments à gérer comme la présence continue des enfants, du conjoint ou de la conjointe et des contraintes que cela suppose. L’équilibre aussi précaire qu’il a pu être jusqu’à présent, se trouve significativement perturbé. Cet état, est susceptible, en réactivant les difficultés et les problématiques affectives corrélées à celle-ci, d’aggraver l’intensité de la douleur et d’épuiser les ressources des patients douloureux chroniques. Dans ce contexte, on a pu noter souvent, une recrudescence de l’anxiété associée à un déséquilibre des aménagements psychiques qui avaient été élaborés jusqu’alors. Parallèlement, la rupture dans le soin dû au confinement, a rendu l’accès aux soins difficile, et perturbé l’équilibre du patient douloureux chronique. Ce déséquilibre menace d’aggraver l’intensité de sa douleur, notamment lorsqu’un vécu d’abandon s’y associe, qui ne peut être compensée entièrement par les téléconsultations où autres aussi contenantes et rassurantes qu’elles veulent l’être. Le confinement du Covid-19 est venu compliquer le confinement qui existait déjà chez le patient douloureux chronique, de par la nature même de ses symptômes. Parallèlement, avec le confinement du Covid-19, l’intrusion d’éléments et d'événements nouveaux, a provoqué la rupture et le déséquilibre d’un rythme établi dans les habitudes quotidiennes des patients douloureux chroniques, aggravant par la même l’intensité de la douleur et les manifestations psychopathologiques associées.
L’incertitude, l’angoisse collective de la potentialité mortelle du virus et la difficile projection du « monde d’après » se partage entre tous mais auront un impact sans doute important sur l’organisation des soins à venir et la prise en charge des patients douloureux.
Pour autant, peut-être devons-nous rappeler cette phrase de la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury-Perkins (2020) « Accepter enfin l’incertitude, c’est cesser de croire illusoirement que ce monde nous doit quelque chose et qu’il est injuste ».
- Barfety-Servignat V. (2020) Pourquoi la clinique de la douleur est-elle une clinique de la complexite ́ ? Ann Med Psycho. In press. Doi : 10.1016/j.amp.2020.01.013
- Livre blanc de la douleur (2017) https://www.sfetd-douleur.org/wp-content/uploads/2019/09/livre_blanc-2017-10-24.pdf
- Pezé M. (2018) Approche psychosomatique de la Douleur Chronique : quelles solutions ? https://managersante.com/2018/06/25/approche-psychosomatique-de-la-douleur-chronique-quelles-solutions-partie-3-4/
- Bioy A. (2020) Une occasion d’apprivoiser l’incertitude. Newsletter Dunod.
- Mengin A., Alle M., Rolling J., Ligier F., Schroder C., Lalanne L., Berna F., Jardri R., Viava G., Geoffroy PA., Brunault P., Thibaut F., Chevance A., Giersch A. (2020) Conséquences psychopathologiques du confinement. L’Encéphale. In Press. https://doi.org/10.1016/j.encep.2020.04.007
- Fleury-Perkins C. (2020) Le deuil de l’ancien monde. https://www.humanite.fr/la-chronique-philo-de-cynthia-fleury-le-deuil-de-lancien-monde-686956
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