Rencontre avec Daniel Favre sur l'importance de la mise en place d'une alliance coopérative élèves et parents dès la rentrée scolaire
Construire une nouvelle alliance coopérative avec les élèves et les parents dès la rentrée
Réussir une alliance coopérative suppose selon mon expérience de franchir un obstacle : l’incohérence entre deux paradigmes éducatifs présents dans l’école et mon propos est de tenter de montrer que c’est possible.
L’obstacle ne réside pas selon moi chez les élèves ou chez les parents ou chez les enseignants. Mes recherches en particulier sur les liens existants entre la violence et l’échec scolaire m’ont conduit à penser que deux paradigmes éducatifs non compatibles s’entrechoquent dans notre système scolaire. Ce n’est pas parce que l’un est fondé sur la transmission de savoirs ou de méthodes et l’autre sur l’accompagnement des élèves dans leurs apprentissages mais parce que dans chacun de ces paradigmes l’élève n’a pas le même statut. Il en découle des injonctions paradoxales inhibitrices de l’action et source de stress et de démotivation chez les élèves comme chez les enseignants.
Ce statut de l’élève transparait avec la permanence dans l’ancien paradigme de l’idée que les élèves doivent tous apprendre en même temps la même chose afin d’être tous contrôlés au même moment pour vérifier que la transmission de la notion a bien eue lieu. Dans ce paradigme les élèves sont la plupart du temps en référence externe dans un dispositif essentiellement behavioriste matérialisé par les « bonnes » et les « mauvaises » notes, les carottes et les bâtons chers à ce courant de la psychologie dont la problématique principale est : comment obtenir d’un individu animal ou humain les comportements attendus ?
On remarquera que, si l’usage de cette approche comportementaliste prévaut dans la publicité et en politique, ce n’est pas la finalité de l’École de la République qui s’est fixée comme mission l’émancipation de sujets libres pour devenir ces futurs citoyens capables de faire des choix responsables, aptes à s’autoréguler et à vivre en harmonie avec les autres en évitant que la régulation des conflits ne dégénère en violence.
En se référant au décret de 2015[1] rappelons que l’École doit apporter les moyens de penser par soi-même et développer créativité et esprit critique. Dans ce texte, parmi les cinq domaines de compétences identifiées comme nécessaires ensemble pour être autonome et interdépendant dans notre monde actuel, la « formation de la personne » (domaine n°3) est en position centrale. Dans ce nouveau paradigme l’élève n’a plus un statut d’objet « motivable » de l’extérieur comme un rat de laboratoire, mais celui d’un sujet en devenir et donc doté d’une motivation intrinsèque sur laquelle les apprentissages devraient s’appuyer. Aristophane disait déjà intuitivement qu’ « enseigner ce n’était pas remplir un vase mais allumer un feu ». Les pédagogies alternatives (celles de Montessori, de Freinet ou plus récemment de Gattegno) dont certaines vieilles de près de 100 ans, ont vu des mesures récentes de leur efficacité, donnent à l’élève un statut de sujet.
Le système éducatif actuel peut donc être à l’origine d’injonctions paradoxales comme : « existe, soit un sujet créatif » et en même temps : « conforme-toi et soumets-toi, bref n’existe pas » ou autre exemple : il n’est pas possible d’apprendre sans faire d’erreurs mais parallèlement le contrôle continu amène à comptabiliser toutes les erreurs et fait échouer personnellement l’élève. Les enseignants ne sont pas épargnés non plus quand on leur dit qu’il ne faut laisser personne au bord du chemin et qu’un inspecteur leur reproche de ne pas avoir respecté la temporalité prévue dans les Programmes.
Or si notre cerveau semble très bien équipé pour gérer l’incertain et l’imprévisible (voir « Éduquer à l’incertitude » (2016), il n’en va pas de même pour l’incohérence et les injonctions paradoxales. Celles-ci nous fragilisent, engendrent de l’anxiété et provoquent l’inhibition de l’action. Or les recherches auxquelles j’ai participé montrent qu’en France comme au Canada l’agressivité et la violence sont fortement et significativement corrélées à l’anxiété (voir « Transformer la violence des élèves, 2007- 2019). Eviter les injonctions paradoxales commence par pouvoir identifier consciemment et en temps réel les habitudes ou les automatismes engendrés par l’ancien paradigme. Le but n’est pas de l’éliminer au profit du nouveau mais de pouvoir éviter les incohérences démotivantes pour les élèves comme pour les enseignants qui résultent du recours simultané à ces deux paradigmes.
Deux livres visent cet objectif : « Cessons de démotiver les élèves : 20 clés pour favoriser l’apprentissage (2010-2020) et plus récemment « Reconnecter l’École au Vivant » (06-2021).
Ce dernier ouvrage tente de montrer comment l’ancien paradigme nous a formaté en tant qu’éducateurs et comment identifier en soi des automatismes qui peuvent s’opposer ou faire avorter nos projets éducatifs conscients. C’est le propos de ce livre qui pointe dix pratiques pédagogiques. D’où l’importance de repérer les pratiques contradictoires et de leur substituer des pratiques qui favorisent le lien de confiance, la croissance, l’autonomie et la coopération, c’est-à-dire la vie !
Ainsi et par exemple, il est proposé de renoncer au contrôle continu pour ménager des périodes les plus longues possibles où les élèves vont pouvoir apprendre : c’est-à-dire se tromper, recommencer et se tromper encore en toute sécurité affective et cognitive… Quand l’erreur produite a, comme en sciences, le statut d’« information intéressante », et constitue un « cadeau que l’élève fait à la classe » (Gattegno), et en décidant avec les élèves de la date des contrôles, un climat de confiance et une alliance coopérative s’installent en classe. Naturellement cela n’est possible que si l’enseignant ne se sert plus de la peur du contrôle pour faire travailler les élèves contre leur gré de manière behavioriste mais se présente comme un allié que les élèves doivent mandater pour les aider à réussir les divers contrôles qui émaillent leur parcours scolaire.
L’objectif de ce dernier livre consiste donc à faciliter un changement de représentation de l’élève pour adopter celle d’un sujet complexe et en devenir, où l’affectivité comportant « trois systèmes de motivation et non un seul » peut être mise au service de l’apprentissage et de la maturation des élèves. Il s’agit de pouvoir se reconnecter à la vie en soi et à l’extérieur de soi sous toutes ses formes en sortant de l’inhibition de l’action. À la fin de chaque chapitre centré sur une habitude éducative, des exercices permettent de détecter et de se libérer, si c’est notre souhait, des injonctions paradoxales, celles que nous subissons comme celles que nous produisons souvent à notre insu.
Et le temps de la rentrée pourrait fournir l’occasion lors de la rencontre avec les parents d’élèves de construire avec eux et collectivement un projet éducatif cohérent fondé sur les valeurs communes qui, lorsque l’on peut les expliciter tout en écoutant et en mettant des mots sur les peurs des uns et des autres, sont largement partagées. Il s’agit donc là aussi de construire ensemble une alliance coopérative pour créer la cohérence autour des jeunes qui grandissent en adoptant par exemple un vocabulaire commun : les erreurs ne sont donc plus des « fautes » mais seulement des « informations intéressantes » pendant l’apprentissage ou des « écarts à la norme » pendant les contrôles, les élèves ne seraient plus « bons » ou « mauvais » mais seraient « ceux qui ont produit les résultats attendus » ou « ceux qui n’ont pas encore produit les résultats attendus ». Les échanges issus de ces rencontres pourraient ensuite être rédigés et, après accord des participants, partagés avec d’autres groupes d’enseignants et de parents et ainsi, en développant notre souveraineté en tant que citoyen chargé d’éducation, pourrait être revivifiée la finalité « humanisante » de l’école et des valeurs de la République.
Vous souhaitez vous exprimer dans La lettre Dunod, innovation pédagogique ?
Contactez-nous à cette adresse
#LIP - 10 / 2021
Lettre de l'innovation pédagogique Dunod