Rencontre avec Quentin Vicens de l'institut de Biologie Moléculaire et céllulaire du CNRS.
Une des caractéristiques du monde universitaire qui surprend souvent le grand public – à juste titre – est que le recrutement d’un enseignant-chercheur ne repose pas sur ses capacités à enseigner mais uniquement sur son activité de recherche. Longtemps (depuis toujours ?), on a estimé qu’un expert dans son domaine était la personne la plus à même d’enseigner… jusqu’à ce que plusieurs enseignants-chercheurs de par le monde tirent la sonnette d’alarme !
A partir du moment où l’on s’est donné les moyens de mesurer les gains d’apprentissage à l’issue d’un enseignement classique avec cours en amphi et travaux dirigés, il est vite apparu que celui-ci était plus qu’inadéquat.
Comment expliquer que des étudiants aient des bonnes notes à leurs examens sans pour autant être capables de résoudre des problèmes simples nécessitant l’application de formules mathématiques qu’ils connaissent ?
On pourrait, hélas, comme encore beaucoup, penser que c’est la faute des étudiants « qui ont changé ». Certes, les étudiants de nos jours ont des attentes et des préoccupations qui ont évolué avec les technologies et une globalisation galopantes. Mais, même s’ils sont de plus en plus nombreux en cours, ce qui représente en soi un défi, ils ne sont ni moins motivés pour apprendre, ni moins bien équipés pour réussir. Il apparaîtrait plutôt que le contexte actuel de l’enseignement supérieur fasse ressortir ce que Halpern et Hakel avaient déjà assez bien résumé dans un article de 2003 paru dans le magazine Change :
« Il serait difficile de concevoir un modèle d’enseignement qui soit davantage en désaccord avec les résultats des recherches actuelles en sciences cognitives que celui qui est en place aujourd’hui dans la plupart des universités. »
Comment promouvoir dans ce contexte une évolution des enseignements à l’université ?
Une des pistes les plus prometteuses semble être d’accompagner les enseignants-chercheurs dans la mise en place de stratégies interactives en amphi qui ont été démontrées comme favorisant un apprentissage durable des concepts-clés. Un avantage du numérique est de faciliter la mise en place de telles stratégies pour de gros effectifs. On a vu récemment des universités investir dans les boîtiers de vote, les espaces numériques de travail, l’enregistrement suivi de la diffusion en ligne de cours magistraux, etc. Du coup s’est présentée la nécessité de former les enseignants-chercheurs à l’utilisation de ces outils numériques en vue d’obtenir davantage d’interactivité et donc d’opportunités d’apprentissage pour leurs étudiants.
A l’Université Nice Sophia Antipolis, le Service des Pédagogies Innovantes (PI) piloté par Christophe Bansart et Ugo Bellagamba a mis sur pied en 2014 un Diplôme Universitaire (DU) sur les PI, un des premiers en France. J’interviens dans cette formation depuis sa création en binôme de co-enseignement avec Iannis Aliferis, Maître de Conférences à Polytech’Nice Sophia et à présent directeur du DU. L’objectif de ce DU était de répondre de façon concrète et constructive à la demande croissante et pressante de la communauté des enseignants-chercheurs qui souhaitaient « changer leurs cours ». Pour le module qui nous concernait (sur un total de quatre modules répartis sur 1-2 ans), nous avions comme objectif d’attirer l’attention des participants sur les résultats des recherches en apprentissage, afin qu’ils adoptent les méthodes et les outils qui correspondent le plus à leur besoin d’accompagnement des étudiants.
Notre rôle pourrait se résumer à conduire l’enseignant-chercheur d’un stade d’autorité savante mais distante à celui de guide accompagnateur, plus accessible.
Dans ce contexte, une des approches qui pour moi a fait ses preuves est de répondre aux besoins les plus immédiats des participants tout en opérant, comme une sorte d’avocat, sous couverture des méthodes pédagogiques efficaces, mais forcément encore à contre-courant (et donc jugées parfois tabou) à l’université. Inutile, donc, voire carrément contre-productif, de démontrer de but en blanc pourquoi le cours magistral est si peu efficace. La stratégie consiste à échafauder une formation pour enseignants-chercheurs selon les mêmes principes que ceux que nous souhaitons leur voir adopter, et qui s’articule autour de leurs propres expériences, idées, matériaux, contextes situationnels, et projets de cours. Autrement dit, ils apprennent en transformant déjà leur propre cours, et nous sommes là avec Iannis pour les guider dans ce processus.
Cette attitude est à mon avis essentielle en présence d’un public d’enseignants-chercheurs qui a déjà, par définition, un parcours, une expérience, et, puisqu’ils participent au DU, une motivation pour aller plus loin, peut-être à transformer. Les avantages de cette approche sont nombreux, comme celui de rassembler des participants venant d’horizons et de disciplines diverses (par exemple au sein d’une même promotion : informatique, littérature, médecine, communication, langues ) autour d’un projet de transformation de cours dont seuls les principes pédagogiques restent le socle commun. De plus, les participants sortent de ce module ravis d’avoir déjà pu travailler à un de leurs cours. Il se sentent prêts « à se jeter à l’eau et à faire du prosélytisme pour ces techniques pédagogiques innovantes », comme on nous l’a mentionné au terme des cours.
Bien enseigner est parfois inné, mais cela peut surtout être appris !
Notre gouvernement l’a compris, puisqu’il a récemment promulgué un décret stipulant que les maîtres de conférences entrant en fonction « bénéficient (…) d’une formation visant l’approfondissement des compétences pédagogiques nécessaires à l’exercice du métier » (Journal Officiel, n°0109 du 10/05/2017). Nul doute que cette annonce va encore renforcer la présence du DU de Pédagogies Innovantes dans le panorama des formations de pointe à Nice, et susciter la création d’autres DU en France, comme à Strasbourg, ou celle de formations en ligne comme l’effort collectif sur la plateforme FUN- MOOC. En attendant une prochaine étape, qui pourrait être celle qu’à résumé ainsi l’un de nos participants : « Je pense que ce DU, en général, et ce cours, devraient être un prérequis indispensable pour tout enseignant-chercheur souhaitant passer une HDR et prendre des fonctions encore plus importantes au sein d’une UFR ». A bon entendeur…
L'Interview du mois
Quelle doit être la place du digital dans la pédagogie ? Est-ce qu’il reste une place pour l’enseignant ?
Interview de Son Thierry Ly.