Réussir à exprimer ses idées participe à limiter les conflits dans nos organisations. Stéphane André nous parle de l’éloquence, cet art collectif pour inventer ensemble un monde meilleur.
Stéphane André, pouvez-vous vous présenter ?
Diplômé de l’Essec et d’une maîtrise de psychologie clinique, j’ai aussi une formation de comédien et une expérience de metteur en scène d’opéra. Ma relation à la parole publique est d’autant plus passionnée que j’ai dû surmonter un assez fort bégaiement tout au long de ma scolarité.
J’ai commencé à enseigner l’art oratoire il y a 50 ans. A cette époque, on ne formait pas à la parole en public en France (la mode actuelle de l’éloquence date d’une dizaine d’année). Mes élèves furent mes partenaires. Enseigner, c’est ne pas cesser de chercher. Je suis arrivé aujourd’hui à une conception de l’éloquence que je pense naturelle, belle, constructive et applicable par tous. Elle est enseignée à l’Ecole de l’Art Oratoire que j’ai fondée en 2008.
Je découvre un extrait du livre
En quelques mots, qu’est-ce que l’éloquence ?
L’éloquence est la partie active parce que physique de l’art oratoire, l’« actio » pour les anciens. Elle s’exerce face au public. C’est à ce moment seulement que l’orateur éloquent trouve d’instinct les mots, les tons et les rythmes pour convaincre de la légitimité de ses idées. Il fait ainsi de son public, d’une personne, de cent personnes, ou de millions de personnes à travers les médias, le coauteur donc le cosignataire de son discours fini. L’éloquence est un sport collectif. Elle ne consiste pas à dire ce que l’on a prévu de dire, mais à aller au-delà grâce au public.
Pourquoi dites-vous que l’éloquence est le cœur battant de notre écologie sociale ?
Je définis l’écologie sociale comme l’état de santé des relations humaines au sein d’une organisation, qu’il s’agisse d’une équipe, d’une entreprise entière, d’un État ou d’un G20. Moins il y a de conflits larvés ou manifestes en son sein, plus son écologie sociale est saine. Meilleure est alors sa performance, tant dans les décisions qu’elle prend que dans leur exécution. Dans une organisation, il est normal que les points de vue diffèrent selon les fonctions occupées. Contrairement à ce que l’on pense habituellement, les conflits ne proviennent pas des désaccords, mais seulement de l’expression de ces désaccords. Or, être éloquent c’est se faire comprendre de ses interlocuteurs, opposants ou non, sans les heurter. Les raisons du conflit tombent alors d’elles-mêmes. L’éloquence est donc bien le cœur battant de notre écologie sociale. Elle seule est à même de faire surgir de la diversité des points de vue le génie collectif.
Depuis une dizaine d’année, l’éloquence est à la mode pour le meilleur ou pour le pire. Vous proposez de revenir à ses fondamentaux avec la technique du RDV, pouvez-vous nous la présenter ?
La mode actuelle de l’éloquence, avec sa manifestation la plus visible qu’est le stand up, privilégie le brio personnel. Faites-en une loi dans les réunions de travail, vous aurez des conflits de toutes parts. L’éloquence doit être d’abord au service de la circulation des idées dans notre vie publique. Le succès personnel de l’orateur ne doit pas être la cause, mais seulement l’effet de sa prise de parole réussie au service de sa fonction dans une organisation. Encore faut-il qu’il use correctement de sa « carne » pour incarner les idées qu’elle porte.
C’est ici que la technique du RDV trouve sa place. Le Regard de l’orateur sur ses auditeurs pour établir la trame de notre tissu social, le Dos de l’orateur pour lui rendre sa verticalité et par là son humanité, et la Voix de l’orateur pour faire vivre à son public jusqu’au sentiment qu’il a de ce qu’il leur dit, au moment où il le leur dit.
La technique du RDV métamorphose la personne de l’orateur en personnage incarnation de sa fonction. Alors seulement il accède à sa logique de pensée. Il développe une rhétorique pertinente pour la servir et servir son public, le tout en développant son propre style. C’est le miracle de la Nature, à laquelle je mets une majuscule dans mon ouvrage parce qu’elle le mérite.
Remontée aux sources de notre éloquence naturelle, la technique du RDV apporte l’harmonie dans le corps-à-corps que réalise l’orateur avec son public, par conséquent aussi dans son cerveau-à-cerveau avec lui. L’éloquence naturelle en action est une danse des cerveaux que conduit l’orateur avec son public. Et jamais le public ne s’en plaint.
Dans votre ouvrage, vous accompagnez le lecteur le long du fleuve de l’éloquence à travers quatre étapes.
Quelles sont-elles ?
C’est la deuxième partie de mon livre Une éloquence naturelle. La première m’a semblé indispensable pour remonter le fleuve de la mode de l’éloquence jusqu’à ses sources naturelles, le regard, le dos et la voix. Car cette mode les ignore. A partir d’elles, j’accompagne ensuite le lecteur dans la descente sportive du fleuve proprement dit de l’éloquence, en quatre étapes. De la plus simple à la plus complexe.
La première est celle de l’exposé en public, la seconde celle du débat, la troisième celle de la négociation et la dernière celle de la direction d’une réunion.
Dans chacune, le lecteur ajuste ses coups de pagaies selon la technique du RDV pour éviter obstacles et tourbillons, et atteindre enfin le port d’arrivée qu’il s’est fixé avant l’étape. Sa pratique écologiquement juste de l’éloquence lui donne une parfaite efficacité de ses trajectoires tactiques sur le fleuve. C’est encore un miracle de la Nature. Chaque étape est suivie d’un débriefing sur le quai d’arrivée.
L’éloquence naturelle, une clé pour résoudre les problèmes de notre écologie globale ?
Le défaut d’expression ou d’adaptation de l’orateur à l’état du public est dû au fait qu’il ne respecte pas la façon dont la Nature attend qu’il se serve de son corps dans sa parole publique. Chacun de ces défauts introduit une disharmonie dans le rapport entre l’orateur et ses auditeurs. Elle n’est pas le conflit mais l’annonce. Elle met donc en péril la santé de l’écologie sociale autour de l’orateur. Or de nos jours, au premier plan des préoccupations dans toutes nos réunions locales, nationales ou internationales, apparaît de plus en plus celle du sauvetage de notre écologie globale. C’est le dernier défi que nous propose la Nature, si nous voulons la sauver et nous sauver avec elle. Nous n’y répondrons qu’en sachant partout nous parler sans nous battre. L’éloquence naturelle est donc aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, la clé pour résoudre les problèmes de notre écologie globale. Sinon quoi d’autre ?
Une éloquence naturelle Vers des organisations sans conflit
À la mode dans les médias ces dernières années et jusque dans nos programmes éducatifs, l’éloquence est sans conteste devenue essentielle à l’harmonie de nos vies publiques. Hélas, son enseignement ne consiste bien souvent qu’à repérer les défauts d’expression de l’orateur et à lui suggérer de les supprimer.
Dans son ouvrage Une éloquence naturelle, Stéphane André met à profit son expérience pour disséquer les idées préconçues qui détériorent les prises de parole. Il propose une technique immersive pour retourner aux « sources naturelles » de l’éloquence, que ce soit au cours d’un examen oral, d’une réunion de travail, d’une conférence ou d’un débat.