Ex-dirigeante de la SNCF, Bénédicte Tilloy a décidé de tout quitter pour rejoindre une startup. Son ouvrage, « La Team », raconte son expérience et donne des clés pour permettre à ces deux mondes de s’inspirer.
Après avoir travaillé 27 ans à la SNCF, vous avez décidé d’intégrer une startup. Pourquoi ce choix ?
Je ne me sentais ni vieille ni sage. J’avais envie d’apprendre autre chose, de me mettre en danger, quitte à être radicale. J’ai choisi un univers dont j’entendais beaucoup parler et qui me fascinait. Le fait qu’il attire beaucoup les jeunes a évidemment compté. Je savais aussi que pour apprendre, rien ne valait une immersion complète, sans filet. J’ai donc plongé. Et je n’ai pas été déçue. Le mode “reboot”, c’est effectivement décoiffant.
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
J’ai eu envie de témoigner pour donner l’envie à d’autres de rompre leurs amarres. Beaucoup d’hommes et de femmes de ma génération se sentent enfermés dans des jobs qui ne les enthousiasment plus, tout en craignant pour leur employabilité. Mon exemple peut leur être utile.
Cela me plaisait aussi de jeter un pont entre le monde des grandes entreprises et celui des startups et de raconter comment on pouvait les hybrider au bénéfice des deux.
D’abord, parce que le clivage m’insupporte, mais aussi parce que ces deux univers peuvent réellement s’inspirer, dans les deux sens.
Et puis, dans mon nouveau quotidien, les choses étaient si étranges, il me fallait en garder la trace. J’ai donc écrit un journal de bord. Ce journal, je l’ai relu et j’ai eu envie de le faire lire. Pour plonger mon lecteur dans les situations baroques auxquelles je me suis confrontée, il me fallait raconter mon aventure “dans son jus”. D’où l’idée de la réécrire comme une série avec des personnages, un peu comme la série “10%” raconte les tribulations d’agents d’acteurs. Finalement, “La team”, c’est un peu le “10%” d’un incubateur de startups. Et évidemment, j’adorerais qu’on la tourne !
Je l’ai aussi illustré avec des aquarelles peintes pour l’occasion. Une façon pour moi d’utiliser toute ma palette pour décrire mon expérience.
Pouvez-vous énumérer quelques différences entre une grande entreprise et une startup ?
Dans la première, on pense d’abord conformité, dans la seconde croissance et innovation. Les grandes entreprises ont du temps devant elles, les startups vivent avec la conscience aiguë qu’elles peuvent mourir d’un instant à l’autre. En conséquence de cela, l’inertie peut guetter les premières, et l'hyperactivité les secondes. Pour les collaborateurs, cela change évidemment l’ambiance de travail, et cela ne se résume pas au babyfoot et aux fraises Tagada.
Il y a aussi toute une série de petites choses qui font la culture d’entreprise et qui peuvent être très déconcertantes. La cantine, le courrier, les réunions, les séminaires, les mails, et tous les rituels d’équipe, que je raconte en détails dans les deux saisons de “La Team”.
Des similitudes ?
Si on ne s’inquiète pas de faire grandir les collaborateurs, la boite ne grandit pas. C’est vrai dans les grandes entreprises comme dans les petites. De la même manière, si on ne s’épanouit pas dans son travail, la boite ne prospère pas. Cela suppose que les managers y soient attentifs.
Par ailleurs, et c’est bien dommage, car on a pu le laisser croire, les startups n’ont pas révolutionné les mathématiques, quand on soustrait un grand nombre à un nombre plus petit, on obtient un résultat négatif. Si ça dure longtemps, la fin est la même. La folie des levées de fond à beaucoup de zéro a pu le faire oublier, mais une boite doit, in fine, dégager du résultat pour se développer sur son marché.
En rejoignant « La team », vous avez intégré une équipe de millennials, qu’est-ce que cela vous a apporté ?
La toute première chose, c’est le ré-apprentissage de l’humilité. Quand on a depuis longtemps été secondée dans tous les instants de sa vie professionnelle, on a perdu l’habitude de faire les choses par soi-même. Je me suis rendue compte que je ne savais plus faire grand chose d’utile et que j’avais besoin d’aide à chaque instant pour me familiariser avec mon nouvel univers. Je ne parle pas que des outils numériques, même si leur apprentissage a pu être douloureux, parfois ! Ce qu’on l’on croit établi n’est que la croyance de sa génération. Quand vos blagues tombent à plat, vous prenez conscience que les héros de votre enfance ne disent évidemment rien à vos jeunes collègues, la réciproque étant vraie. Et cela se produit plus de 10 fois par jour !
La fonction de manager dans une startup est souvent mal perçue. Qu’en pensez-vous ?
Oui, c’est vrai, le mot manager fait peur. Certains fondateurs de startups se vivent comme des grands brûlés du management. Ils ont tellement souffert de la pression tatillonne de “petits chefs” qu’ils se sont promis de ne plus le faire subir à leurs collaborateurs quand est venu leur tour de diriger.
Mais le “no management” peut être bien pire.
Toutes les décisions ne peuvent relever du consensus. Sans régulation par le management, on voit certains s’épuiser et d’autres s’épanouir dans le dilettantisme. L’absence d’équité peut très vite détruire la confiance dans des collectifs de travail, dans les startups aussi ! Et quant au développement des collaborateurs, il faut bien que quelqu’un s’en occupe. Pour moi, c’est la première fonction du management.
Quelques petits conseils précieux à celles et ceux qui souhaiteraient rejoindre comme vous une startup ?
Le plus important, c’est d’y aller pour de bonnes raisons. On peut vouloir transmettre ce qu’on a appris, il ne faut pas penser que c’est une raison suffisante, on apprendra beaucoup plus qu’on ne transmettra, en fait ! Il faut donc se débarrasser d’une posture haute et se concentrer sur le plaisir d’apprendre. Oublier vite les positions statutaires établies qu’on vient de quitter. Apprendre à demander de l’aide, à changer d’échelle, se familiariser vite avec les outils numériques, partager son expérience avec un journal ou avec d’autres pour ne pas se sentir seule. Et se féliciter tous les jours de sa plasticité.
Ni vieille, ni sage, chaque jour en startup est le premier jour du reste de sa vie professionnelle.