Quelles leçons tirer de la récente chute de FTX, deuxième plus grosse plateforme d'échange crypto au monde ? Rencontre avec Philippe Nadeau et Kathleen Jobin, auteurs de Investir dans les cryptomonnaies comme on investit en bourse.
Le 2 novembre 2022, suite à la publication de l'article de Coindesk, FTX, la deuxième plus importante plateforme de cryptomonnaie au monde, connaît une fin tragique. Le 6 novembre, CZ (Changpeng Zhao), CEO de Binance, première plateforme, annonce qu'il se sépare de ses jetons FTT (jetons de la plateforme FTX) et tout s'accélère : un mouvement de panique s'enclenche, le cour du FTT chute violemment, des milliards de dollars partent en fumée. FTX bloque les retraits et des millions d'utilisateurs se retrouvent piégés dans l'incapacité d'accéder à leur fonds... Le 11 novembre, FTX se déclare en faillite.
Plateformes centralisées : Not Your Keys, Not Your Coins*
Nous l’avons souvent dit et répété, investir sur une plateforme centralisée du type Binance, FTX, Coinbase ou autre, même si elle présente une excellente image et si elle est supportée par quelques célébrités, représente des risques non négligeables, certains plus évidents que d’autres. Il nous semble en effet parfois plus simple de passer par ces plateformes de ce type, qui nous paraissent familières, et qui vont collecter nos informations et nos clés privées. Mais ces plateformes appartiennent à des entreprises privées, et donc, si demain elles sont victimes d’un piratage, d’une fermeture orchestrée par un gouvernement ou d’une banqueroute, alors vous perdrez l’ensemble des actifs que vous y détenez, sans espoir de les récupérer.
Et c’est exactement ce qui s’est passé avec la chute stupéfiante de FTX, l'un des acteurs les plus importants et les plus réputés du marché des actifs numériques, qui suscite, de façon légitime, l'inquiétude des investisseurs en cryptomonnaies.
La bourse FTX, lancé en 2019 par Sam Bankman-Fried, un jeune prodige de 30 ans salué comme un J.P. Morgan des temps modernes, avait rapidement atteint des sommets, évaluée récemment à 32 milliards de dollars, elle avait su intéresser des investisseurs de premier plan, comme SoftBank, Tiger Global, Temasek de Singapour, ainsi que des célébrités comme Tom Brady, Gisele Bündchen et Naomi Osaka.
L’un des déclencheurs de cet effondrement, sans doute celui qui a cloué le couvercle du cercueil est certainement l'investisseur Sequoia Capital qui avait ramené la valeur de sa participation dans FTX à 0 dollar. La plateforme FTX, dont le déficit se situerait entre 8 et 10 milliards de dollars, n'avait pas été en mesure de répondre aux demandes de retrait des clients. Le fondateur a démissionné depuis, et FTX s'est placé sous la protection de la loi sur les faillites aux États-Unis après l'échec d'un renflouement par son rival Binance. En parallèle, les autorités des Bahamas, où se situe le siège social de FTX, enquêtent sur une éventuelle faute criminelle, car au moins 1 milliard de dollars de fonds de clients manquent, et un possible piratage de 473 millions de dollars aurait été perpétré, le tout étant relié, ou pas.
En effet, il apparaît que FTX pourrait avoir prêté des fonds et des actifs de clients à Alameda Research, qui aurait fait des paris risqués avec ces actifs. Ceci est strictement interdit dans la finance traditionnelle. Les deux sociétés sont privées, et le marché estime que 40% du bilan d'Alameda Research pourrait comprendre des jetons FTT, c'est-à-dire les jetons utilitaires créés par FTX qui ont été utilisés comme garantie dans la société. La relation entre FTX et Alameda Research a toujours été très opaque, les deux ont été fondés par SBF. Voici ce que ces deux entités ont fait :
- FTX crée le jeton FTT
- Alameda achète le FTT à un prix super bas
- FTX fait grimper le cour du FTT
- Alameda reverse le FTT à FTX comme garantie, empruntant des actifs "réels" à partir des dépôts des clients de FTX.
Une utilisatrice du nom de Lyn Alden (@LynAldenContact) sur Twitter propose un exemple de cette manipulation :
"Imaginez que McDonald's fabrique son propre argent, appelons-le "clown-bucks", en garde la majeure partie et en vend l'autre sur le marché. McDonald's utilise ensuite le reste de ses clown-bucks comme garantie pour des prêts réels. Puis les gens se souviennent que les clown-bucks ne sont pas réels", écrit-elle, et cela résume assez bien la situation.
Les prochains jours feront certainement la lumière sur cet effondrement brutal qui, encore aujourd’hui, reste nébuleux.
Ce qui est clair, c'est que les retombées de cette nouvelle crise vont générer une volatilité importante dans l'écosystème cryptographique, qui s’en serait bien passé, et écornera la confiance des utilisateurs tout en confortant les régulateurs dans leurs intentions limitatives.
Ces événements montrent également combien il est important de conserver les cryptomonnaies dans des portefeuilles froids (cold wallet) et non sur des plateformes d'échanges centralisés.
La finance décentralisée n’est pas sans risque, mais au moins, elle vous permet d’être les seuls détenteurs de vos clés privées, de vos actifs, et maître à bord de vos investissements.
* Pas vos clés privées, pas vos cryptomonnaies