Auguste Dumouilla et Jérémy Lamri décrivent la philosophie et les modalités de mise en place d’un système digitalisé d’accompagnement à l’orientation (SDAO), pour une orientation professionnelle accessible à tous et à toutes.
Dans votre ouvrage, vous dressez un état des lieux de l’orientation en France. Pouvez-vous nous dire pourquoi les enjeux ne sont plus les mêmes aujourd’hui ?
Le 21e siècle voit éclore un nouveau rapport au travail et une nouvelle gestion des carrières professionnelles. D’un cadre de projection à long terme relativement stable avec des perspectives identifiées, notre société passe à un monde d’incertitudes croissantes.
Ces dernières conduisent à l’émergence de cycles de carrière plus courts et multiples. Les individus doivent désormais réaliser des choix professionnels incertains plus fréquemment et plus rapidement. De ce fait, la mise en place d’une formation et d’une orientation professionnelle tout au long de la vie est plus que jamais indispensable.
Nous pouvons désormais être acteurs de nos trajectoires professionnelles mais, paradoxalement, « bien s’orienter » est devenu plus complexe. Pourquoi ?
La complexité des enjeux liés à l’orientation résulte du télescopage de tout un tas de variables qui vont venir tirailler la personne dans ses décisions. Ce qui est important de comprendre ici c’est que ces variables ne sont pas uniquement d’ordre individuel lié à la quête de sens mais encore plus large que cela. Elle peut en faire partie effectivement, mais pas uniquement.
En effet, trois systèmes vont venir influencer de manière dynamique les prises de décisions stratégiques de la personne vis à vis de son parcours :
- Le système individuel (compétences, intérêt, personnalité, quête de sens, etc.)
- Le système social (famille, pairs, groupes communautaires, etc.)
- Le système environnemental-sociétal (zone géographique, statut socio-économique, marché de l’emploi, etc.).
Comme nous vivons aujourd’hui dans une société de plus en plus fluide (certains auteurs parlent de société ‘liquide’), les réflexions sont de plus en plus complexes. En effet, elles s’appuient sur des bases instables. Il est de-facto plus difficile de mener un raisonnement rationnel pour mettre en place la stratégie orientative la plus adaptée pour la personne.
Comment le digital et l’intelligence artificielle (IA) peuvent modifier les règles sans représenter toutefois un danger ?
Les principaux risques de la digitalisation et de l’intervention de l’IA dans un accompagnement à l’orientation vont pouvoir se résumer en six grandes catégories qui vont nécessité une attention toute particulière :
● Risque 1 : accompagner la personne trop tard, au moment où arrive l’urgence et non en prévention de celle-ci.
➤ Pour éviter cela, il faut que le parcours soit engageant. Cela comprend ici l’importance capitale de l’humain dans l’accompagnement qui reste au cœur du dispositif. Il faut susciter l’intérêt pour que la personne prenne le contrôle de son parcours d’orientation.
● Risque 2 : focaliser l'accompagnement à l'orientation sur trouver LE dream job ou l’opportunité idéale qui correspondrait parfaitement aux caractéristiques individuelles de la personne.
➤ Il faut que le parcours soit existentiel et ancré dans le contexte de la personne. Cela comprend ici de permettre le développement des ressources de la personne afin qu’elle donne du sens à son parcours, tout en favorisant une réflexion sur la durabilité des choix d’orientation envisagés au regard de la justice sociale et de l’environnement.
● Risque 3 : enfermer la personne dans un PERSONA théorique type auquel on colle un parcours linéaire non-individualisé et potentiellement déterministe.
➤ Pour éviter cela il faut que le parcours soit autonomisant. Cela comprend ici de viser l’amélioration de l’adaptabilité et du pouvoir d’action de la personne. Loin d’être stigmatisée, l’indécision est considérée comme une source motrice d’exploration : elle offre de nouvelles expérimentations permettant à la personne de rester active, de tester des pistes et de générer des opportunités.
● Risque 4 : laisser la personne seule derrière son ordinateur face à ces problématiques d'orientation.
➤ Il faut veiller à ce que le parcours digitalisé d'accompagnement soit collectif. C'est-à-dire qu’il puisse agir à différentes échelles au sein d’une action conjointe et collective comprenant des mises en action concrètes et des interactions sociales.
● Risque 5 : omettre les paramètres personnels de l'accompagnement en se focalisant uniquement sur des éléments attrayants à la sphère professionnelle
➤ Pour éviter cela il faut inscrire le parcours dans une démarche globale à savoir concevoir la personne dans son entièreté et tout au long de sa vie.
● Risque 6 : utiliser les données par la plateforme à des finalités contraires à pourquoi elles ont été récoltées, par exemple fournir les données issues de réflexions personnelles à des recruteurs.
➤ Pour éviter cela il faut inscrire le parcours dans des principes éthiques numériques forts qui permettent d’assurer l’intégrité, l’équitabilité, la justice et la transparence du parcours d’orientation digitale.
Vous insistez sur le fait que le système digitalisé d’accompagnement à l’orientation (SDAO) que vous proposez pour rendre accessible l’orientation professionnelle au plus grand nombre est possible uniquement si un accompagnement humain est au cœur de ce système. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Le SDAO est un outil au service de l’accompagnement humain et pas autrement. L'humain reste au cœur de l’accompagnement. Les outils numériques constituent des supports et des ressources complémentaires à un accompagnement humain présentiel individualisé.
La clé de voûte de l’engagement repose sur une alliance de travail optimale et des interactions entre pairs. C’est assurément l’axe principal de ce premier principe. En effet, l’alliance de travail se construit à partir de l’écoute active du monde de l’autre lors des entretiens et au fur et à mesure des interactions.
Cette alliance entre la personne et son conseiller est d’une importance capitale : de ce lien de nature affective peut découler la formulation des buts à atteindre et les moyens envisagés pour y parvenir. Sans la possibilité de créer ce lien humain, il est impossible de considérer qu’un accompagnement à l’orientation soit possible et efficace pour tous.
Pour répondre aux problématiques modernes de l’orientation, Auguste Dumouilla et Jérémy Lamri proposent la mise en place d’un système digitalisé d’accompagnement à l’orientation (SDAO), qui met à profit des outils digitaux, des contenus interactifs, des exercices et des retours d’expériences, tout en plaçant l’éthique et l’interaction humaine au coeur du processus.