Alain Cayzac et Guillaume Evin lèvent le voile sur toutes les histoires connues ou méconnues des Coupes du Monde, ils mettent en perspective petites victoires et grandes défaites, exploits orchestrés et éditions controversées.
Tellement plus que du foot ! Les plus grandes coupes du monde
Ce livre est enrichi de la contribution exceptionnelle de quarante « grands témoins », de Michel Platini à Zinédine Zidane, en passant par Patrick Battiston ou Dominique Rocheteau et bien d’autres.
1938. Les dictatures se sont toujours efforcées vis-à-vis de leurs peuples de monnayer leur légitimité politique en échange de la gloire sportive. Remporter la Coupe du monde équivaut pour elles à conforter leur régime. Quand elle triomphe deux fois de suite en 1934 puis en 1938 (en France), l’équipe d’Italie offre à Mussolini presque des victoires militaires sur les vieilles démocraties européennes. Le foot ou la guerre en temps de paix par joueurs interposés. Ainsi, le 18 juin 1938, la veille de la finale Italie-Hongrie, le Duce avait adressé un télégramme particulièrement encourageant à ses « troupes », faisant sienne la devise des gladiateurs romains : « Vaincre ou mourir » (Aut vincere, aut mori). Visiblement, ses rétiaires en shorts et crampons préférèrent la première option…
Antal Szabo, le gardien hongrois, avait du reste bien compris l’admonestation mussolinienne quand il déclara : « J’ai encaissé quatre buts, c’est vrai, mais je leur ai sauvé la vie ». La Gazetta dello Sport pouvait célébrer en gros caractères « l’apothéose du sport fasciste dans cette victoire de la race ».
Après leur succès final (4‑2) à Colombes, les joueurs transalpins avaient dû endosser l’uniforme militaire lors de la cérémonie protocolaire. Au moment de recevoir la Victoire ailée, le trophée adoré à l’or fin dessiné par le sculpteur français Abel Lafleur, le capitaine de la Nazionale del Duce37, Giuseppe Meazzab, s’était figé et avait brandi bien haut le bras devant le président de la République, Albert Lebrun. Quelle humiliation pour la France, championne de l’anti-fascisme avec son Front populaire ! Déjà, en quart de finale, toujours à Colombes, le 12 juin 1938, le public et les joueurs français avaient dû supporter que leurs adversaires italiens, tenants du titre, soient intégralement vêtus de noir, arborant ainsi la couleur de l’uniforme fasciste. Et cela, alors que les relations diplomatiques entre Paris et Rome s’étaient singulièrement crispées depuis quelque temps.
De même, en huitième de finale contre la Suisse neutre, les joueurs de la « Grande Allemagne », qui avait annexé les meilleurs éléments du Wunderteam autrichien (hormis Sindelar, parce qu’il était juif) comme le Reich d’Hitler l’avait fait avec l’Autriche de Schuschnigg trois mois plus tôt, arboraient la svastika sur la poitrine et s’étaient fendu du salut nazi au moment des hymnes. Pour autant, cette démonstration de force idéologique n’avait pas paru troubler les joueurs helvètes, qui, à la surprise générale, s’étaient imposés 4‑2 le 9 juin en match d’appui, avec le soutien du public. « Y a-t‑il tant de Suisses à Paris ? », avait aussitôt titré ironiquement le journal L’Auto.
Notons qu’au-delà de la vexation sportive, la France, pays hôte de la compétition, s’était efforcée de ne froisser personne en ne faisant pas de la victoire finale un préalable indispensable à la réussite de l’épreuve. Une posture inédite en trois éditions. Avec son art consommé de la diplomatie, Paris n’avait ainsi rien fait pour s’épargner un quart de finale compliqué contre l’Italie championne du monde. Mieux. La France avait réussi à perdre avec les honneurs contre le tenant du titre. Ce n’était donc ni une humiliation, ni une manipulation.
Livres Hebdo – "Un panorama des coulisses et des moments forts des différentes coupes"